A Bruges (vers 1904)

crayon et pastel sur papier, 28 x 62

Khnopff a souvent représenté la ville de Bruges où il était né mais qui est l'incarnation même des thèmes symbolistes: ville endormie ou morte, baignant dans des eaux dormantes et des brumes... Il a aussi illustré le roman de Georges Rodenbach, Bruges-la-morte. (Cliquer pour lire un extrait).

Cette oeuvre évoque le silence, une forme de solitude qui engendre une remise en question: on s'interroge sur soi-même en la regardant, on entend sa voix intérieure. On se croit aussi dans un rêve. C'est sans doute le miroir de l'eau qui provoque cette impression d'irréalité mais aussi la composition de l'œuvre, tout en largeur, aux verticales estompées, ainsi que les couleurs claires fondues.

Voici un texte que nous voudrions mettre en rapport avec l'oeuvre

Rodenbach, Le Voyage dans les yeux (extrait, in Les Vies encloses)

En des pays de longs canaux et de marais,

Les yeux sont, eux aussi, baignés d'un charme frais;

Clairs yeux remémorés de Flandre et de Hollande

Qui paraissent mouillés, influencés par l'eau;

Yeux comme un petit port avec un seul bateau

Qui s'avoue humble, et que nul trafic n'achalande,

Mais dont le calme heureux contribue à polir

Les reflets d'alentour qui s'y viennent pâlir.

S'ils sont ainsi, c'est à cause de l'eau voisine

Qui les fait à sa ressemblance, y propageant

Son aspect de miroir et de fluide argent.

Donc, comme un port, cette eau des yeux emmagasine

Les horizons et le paysage adjacent

Dont le mirage en sa transparence descend:

Le ciel y réfléchit ses teintes sans durée;

On y perçoit aussi, comme sur un vélin,

L'enluminure en or d'un vieux quai, d'un moulin.

Et toute l'ambiance y vit, miniaturée.

Jean-Mathieu Pernet