II. Le problème final et La maison vide

Objectifs:

  • Faire découvrir aux élèves combien une analyse précise de l'énonciation, spécialement du début du récit, est riche en indices qui facilitent l'inférence,
  • Transférer les observations dans un exercice d'écriture.

(on pourra trouver d'autres suggestions d'exploitation de ces deux nouvelles dans J.P.Rebour, Deux aventures de Sherlock Holmes).

Déroulement:
1. Le problème final (Librio) 

a) lecture des deux premiers paragraphes; 

C'est le coeur lourd que je reprends la plume une dernière fois afin de consigner à jamais les dons remarquables qui ont fait de mon ami M. Sherlock Holmes un être hors du commun. Je sens bien, au fond de moi, que c'est avec beaucoup d'incohérence et de bien pauvre manière que je me suis efforcé de rendre compte des épisodes singuliers que j'ai vécus avec lui, du jour où le hasard nous fit nous rencontrer à l'époque de L'Étude en Rouge jusqu'à son intervention dans l'affaire du Traité naval, intervention qui eut l'indiscutable effet d'éviter une sérieuse crise internationale. Mon intention était de m'arrêter à ce dernier récit et de taire cet événement qui a créé dans mon existence un vide que deux années entières n'ont pu combler. Mais les récentes lettres dans lesquelles le colonel James Moriarty fait l'apologie de feu son frère me forcent la main, et je n'ai nul autre choix que de porter sur la place publique l'exposé des faits tels qu'ils se sont vraiment déroulés. Je suis le seul à connaître la vérité : continuer à la taire ne servirait qu'à couvrir de noires machinations ; le temps est venu de parler.

Pour autant que je sache, trois relations seulement ont été publiées dans la presse : celle du Journal de Genève du 6 mai 1891, la dépêche de l'agence Reuter parue dans les journaux anglais du 7 mai, et pour finir ces dernières lettres dont j'ai fait mention. Les deux premières étaient condensées à l'extrême ; la troisième n'est, comme je vais le montrer, qu'un travestissement absolu de la vérité. C'est donc à moi qu'incombe de raconter pour la première fois ce qui se passa réellement entre le professeur Moriarty et M. Sherlock Holmes.

  • analyse de l'énonciation:
qui parle? Watson (c'est le narrateur habituel des aventures de Sherlock Holmes); on notera la présence abondante de pronoms personnels "je", "moi"; l'implication du narrateur (et, par conséquent, sa subjectivité) est forte.
à qui? au lecteur (il n'est mentionné qu'au paragraphe 3). Aucune trace de la présence du destinataire n'apparaît dans le passage, ce qui donne l'impression que bien plus qu'à un hypothétique lecteur, l'énonciataire se parle à lui-même.
quand? deux années après un événement qui suit l'aventure du Traité naval; on peut deviner que cet événement a eu lieu au début mai 1891 puisque l'énonciateur mentionne des articles des 6 et 7 mai 1891.
où? ce n'est pas précisé.
comment? * expression des sentiments : "le coeur lourd", "un vide", 
* expression de jugements: "incohérence", "de pauvre manière", "me forcent la main", "nul autre choix"
* modalisation: "consigner à jamais", "les faits tels qu'ils se sont vraiment déroulés", "le seul à connaître", "ce qui se passa réellement"

Par conséquent, Watson se prépare à parler, avec beaucoup de réticence quant à ses capacités narratives mais en étant sûr de la véracité de ce qu'il dit.

  • informations complémentaires
de quoi? de ce qui se passa réellement entre le professeur Moriarty et Sherlock Holmes
pourquoi? parce que les informations fournies au moment des événements étaient "condensées à l'extrême"
parce que le frère du professeur Moriarty "fait l'apologie de son frère"; "continuer à la (la vérité) taire ne servirait qu'à couvrir de noires machinations" car il s'agit "d'un travestissement absolu de la vérité".

b) Comparaison avec deux autres débuts:

Le Chien des Baskerville

Sherlock Holmes, qui d'ordinaire se levait très tard, excepté dans ces occasions assez fréquentes où il veillait toute la nuit, était attablé devant son petit déjeuner. J'étais debout sur le tapis du foyer et je ramassais la canne que notre visiteur avait oubliée la veille au soir. C'était une belle et forte canne en bois, avec une tête ronde, de celles dont on dit que ce sont des « permissions de minuit ». Juste au-dessous du pommeau, il y avait un bel, anneau d'argent, large de presque un pouce, sur lequel était gravé « À James Mortimer M. R. C. S. de ses amis du C. C. H. », avec la date « 1884 ». C'était bien la sorte de canne que portait autre­fois le médecin de famille, une canne pleine de dignité, solide et rassurante.

Les hommes dansants:

Depuis quelques heures Holmes était assis en silence, son long dos maigre courbé au-dessus d'un récipient chimique dans lequel il faisait infuser un produit particulièrement malodorant. Sa tête avait sombré sur sa poitrine. Il ressemblait à un étrange oiseau efflanqué pourvu d'un terne plumage gris et d'une huppe noire. 
Ainsi, Watson, me dit-il tout à coup, vous n'avez pas l'intention d'acheter des valeurs sud-africaines ? »

L'observation permet de découvrir des différences flagrantes: 

  • les deux histoires commencent "in media res": Holmes et Watson sont à Baker Street et Holmes et se livrent à leurs activités,

  • Watson raconte les événements de manière apparemment objective, en tout cas, il ne fait montre d'aucun sentiment ou d'aucun jugement particulier, il ne prend pas de précaution oratoire,

  • Holmes est présent.

Il apparaît donc clairement que, avant la narration du Problème final, un événement a eu lieu, à ce point dramatique que Watson en est profondément perturbé et que Holmes est "absent"

c) hypothèses de lecture:

A partir des informations relevées précédemment, les élèves auront à émettre des hypothèses quant aux événements que Watson se prépare à raconter. 

Ils devraient pressentir la mort de Sherlock Holmes, qui, bien que racontée seulement à la fin de la nouvelle, est évoquée par le narrateur dès le début de manière implicite, on attirera particulièrement l'attention des élèves sur l'emploi des temps:

... je reprends la plume une dernière fois afin de consigner à jamais les dons remarquables qui ont fait de mon ami M. Sherlock Holmes un être hors du commun. 
... je me suis efforcé de rendre compte des épisodes singuliers que j'ai vécus avec lui.
Mon intention était de m'arrêter à ce dernier récit et de taire cet événement qui a créé dans mon existence un vide que deux années entières n'ont pu combler.

Si les élèves n'ont pas fait attention à ces signes, on pourra leur faire relire ce début après la fin de la lecture complète de la nouvelle.

2. La Maison vide (in Résurrection de Sherlock Holmes):

a) lecture du début:

Au printemps de 1894, tout Londres s'émut, et la haute société s'épouvanta, de la mort de l'Honorable Ronald Adair assassiné dans des circonstances étranges, inexplicables. L'enquête de police a mis en lumière certains détails, mais tout n'a pas été dit: en effet l'accusation disposait d'une base si solide qu'elle n'a pas jugé nécessaire de produire les faits dans leur totalité.

Aujourd'hui seulement, c'est-à-dire dix ans après, me voici en mesure de présenter au public l'enchaînement complet des événements. Certes le crime lui-même ne manquait pas d'intérêt! Mais ses suites m'apportèrent la surprise la plus grande et le choc le plus violent d'une vie pourtant fertile en aventures. Encore maintenant lorsque j'y réfléchis, je retrouve en moi un écho de cette subite explosion de joie, de stupeur et d'incrédulité qui m'envahit alors. Que le lecteur me pardonne! Je sais jusqu'à quel point il s'est passionné pour les quelques histoires qui lui ont révélé les pensées et les actes d'un homme tout à fait exceptionnel. Mais qu'il ne me blâme pas de ne pas lui avoir appris plus tôt la nouvelle ! Ç'aurait été mon premier devoir si je n'avais été empêché de le remplir par la défense formelle qui m'avait été faite et qui n'a été levée que le 3 du mois dernier.

comparaison du début avec celui du Problème final:

Le problème final La maison vide

énonciation:

- qui? Watson; présence abondante de pronoms personnels "je", "moi"; implication du narrateur  forte.
- à qui? au lecteur; aucune trace de sa présence  dans le passage.
- quand? deux années après un événement qui a eu lieu au début mai 1891. 
- où? pas précisé.
- comment? 
* expression des sentiments de tristesse,
* expression de jugements qui mettent en doute ses capacités,
* modalisation:
grande certitude.
- qui? Watson; présence abondante de pronoms personnels "je", "moi"; implication du narrateur  forte.
- à qui? au lecteur, mentionné; présence de 3e personne "il".
- quand? dix ans après le printemps 1894. 
- où? pas précisé.
- comment? 
* expression des sentiments de surprise, de joie
* modalisation:
grande certitude.
complément di'nformation:
- de quoi? de ce qui se passa réellement entre le professeur Moriarty et Sherlock Holmes.
- pourquoi? parce que les informations fournies au moment des événements étaient "condensées à l'extrême", et parce que le frère du professeur Moriarty a déformé la vérité.
- de quoi? de la mort de Ronald Adair mais aussi de ses suites surprenantes.
- pourquoi?
parce que tout n'a pas été dit; parce qu'il veut partager avec le lecteur sa joie, même s'il ne peut le faire que des années après à cause d'une défense qui lui a été faite.

Par conséquent, on remarquera sans difficulté que de nombreux points communs existent entre ces deux débuts mais ils s'opposent également fondamentalement dans les sentiments exprimés par Watson: à la tristesse répond la joie. On n'aura aucune peine à inférer la réapparition de Holmes, même si, comme sa mort, sa narration est retardée: l'allusion aux "histoires qui lui ont révélé les pensées et les actes d'un homme tout à fait exceptionnel" devrait les mettre sur la voie si le reste ne suffisait pas.

Dans ces deux récits imposés par la nécessité (supprimer un héros l'auteur veut abandonner et le ressusciter à la demande du public), Conan Doyle utilise des procédés que l'on peut rapprocher de ceux de la "reconnaissance" dans le roman populaire.

3. Écriture:

Selon Sherlock Holmes, Moriarty a disparu dans les chutes de Reichenbach alors que lui-même parvenait à éviter la chute. 

Imaginez que, comme Holmes, il ait pu sauver sa vie. 

Rédiger en 2 paragraphes le début d'une aventure où Watson pourrait introduire, auprès du public, l'annonce de cet événement, en travaillant l'énonciation. 

Commencer par réfléchir aux points suivants:

  • quels sentiments, jugements Watson va-t-il exprimer? comment (choix du vocabulaire, des tournures)?
  • comment va-t-il situer dans le temps et l'espace son récit?
  • dans quelles circonstances a-t-il été amené à découvrir la résurrection de Moriarty?
  • fera-t-il intervenir S.Holmes? Si oui, comment?