Il s'agit ici de la relation d'une conférence donnée le mardi 3 décembre à la librairie Molière à Charleroi.

Paul Danblon, qui eut, entre autres fonctions, la responsabilité du service "sciences" à la RTBF échangeait avec André Versaille à propos du livre de celui-ci Voltaire, un intellectuel contre le fanatisme (La Renaissance du livre, coll. Paroles d'aube)

P.Danblon: Le fanatisme et la tolérance sont aujourd'hui à l'ordre du jour, c'est étonnant mais les optimistes ont de plus en plus de mal à le rester. L'optimisme, la croyance en un monde meilleur peut-il encore être d'actualité? 

Commençons par définir le Fanatisme: c'est la certitude d'une conviction. Or une conviction est inquiétante: quand elle est profonde elle donne le vertige. C'est alors la perte de l'héritage de la "relation symbolique", soit la possibilité qu'a l'homme de mettre une présence à la place d'une absence, c'est l'arrêt du temps et donc de la violence des pulsions. Le fondamentalisme est précisément le contraire de cette relation symbolique. Nous vivons par tradition sur des absolus religieux, politiques, ce qui est normal à certaines époques - par exemple, les jeunes ont besoin de certitudes - mais l'humanité n'a de sens que si elle découvre la possibilité de relativiser. Nous devons donc répondre politiquement et éthiquement à ce problème.

A.Versaille: Focalisons-nous sur Voltaire. Pendant tout un temps, on a fait le procès des Lumières comme source de tous les problèmes; tout n'est pas faux mais il faut voir ce qui se passait avant et l'apport essentiel de Voltaire.

Il faut prendre l'affaire Calas comme point de départ; en 1761, il était auteur de poèmes, de théâtre, de Candide, du Siècle de Louis XIV et des Lettres anglaises. On n'aurait gardé de lui que l'image d'une écrivain et on aurait pas porté le même regard sur l'ensemble de son oeuvre sans l'affaire Calas, c'est celle-ci qui va le faire entrer dans l'histoire, même si, auparavant, il y avait déjà eu l'affaire Rochette.

Voltaire était plutôt opposé aux protestants en raison de leur condamnation du théâtre. Pourtant, il va mener une vraie enquête, interroger tout le monde par correspondance; convaincu de l'injustice, il va se mobiliser et mobiliser l'Europe jusqu'à Catherine II; très efficace, il écrira 500 lettres en trois ans. Finalement il obtient gain de cause.

Pourquoi défendre Calas? Voltaire ne supporte pas l'injustice, il va prendre parti dans de nombreuses affaires où il place le principe de justice au-dessus de tout, même de ses antipathies. L'affaire devient emblématique, comme le sera l'affaire Dreyfus pour Zola

La tolérance jusqu'au XVIIIe siècle est synonyme de laxisme; d'abord la persécution est une forme de zèle, pour le bien de l'âme de celui qui s'égare. Bossuet est fier de dire que la religion catholique est la plus intolérante du monde. Il s'agit d'une non-assistance à personne "en danger de damnation". Par ailleurs, les sujets doivent avoir la même religion que le roi, c'est un facteur d'union.

A partir du XVIIIe siècle, on commence à considérer que celui qui veut garder sa foi est un homme honnête qui refuse l'hypocrisie. A partir des années 1750, dans les faits, les rapports personnels entre catholiques et protestants sont bons. Pourquoi y a-t-il ensuite une flambée? En réalité, c'est l'obsession de la théorie du complot, un peu comme dans le maccarthysme aux USA dans les années '50. Par ailleurs, c'est la guerre de sept ans contre la Prusse et l'Angleterre; les soldats sont au front et le sentiment d'insécurité engendre une peur de nouvelles guerres de religion.

C'est l'époque où Voltaire publie le Traité de la tolérance; il n'est pas un précurseur en la matière, il n'est pas atypique mais il est le plus efficace parce qu'il sait trouver les mots justes. Il réfléchit à la tolérance dans l'histoire et demande une tolérance "a minima", constatant que la Révocation de l'Edit de Nantes a provoqué une hémorragie des forces vives vers l'Angleterre.

Par parenthèse, il faut dire que Voltaire s'intéressait à tout et était capable d'intéresser n'importe qui à n'importe quoi, c'était un grand vulgarisateur. Avec Frédéric II, il décide un jour de faire un "dictionnaire des idées reçues des dévots" . Il reprendra l'idée plus tard et cela deviendra le Dictionnaire philosophique portatif. Voltaire admire l'Encyclopédie mais considère qu'elle est inutile car dit-il, si les Evangiles avaient été si gros, jamais le christianisme ne se fût installé. Il écrira donc les Questions sur l'Encyclopédie dont le premier article "ABC", montre qu'il n'existe aucun mot dans aucune langue indo-européenne pour désigner l'alphabet. Tout est donc question de précision de vocabulaire. Voltaire ne comprend rien à la métaphysique!

L'affaire Calas comme arme de guerre

Voltaire la traite du point de la justice; il a travaillé sur le droit (cf. Commentaire sur Beccaria). Il souhaite qu'on humanise une justice encore médiévale: d'une part, quelqu'un de soupçonné est quelqu'un de condamné, d'autre part, délits et peines sont disproportionnés (voir l'affaire du Chevalier de La Barre). Voltaire est contre la torture et pour la proportionnalité de peines.

Pour comprendre les idée de Voltaire, il faut prendre comme point de départ ses goûts: les Anglais et Racine dont il se considère comme le successeur. La civilisation doit pour lui respecter le bon goût. Il va, par exemple, essayer d'épurer la langue. "Définissez les termes ou on ne se comprendra pas"; en effet, il considère que le fanatisme est dû au galimatias, le langage des prêtres et des fripons. Si l'autre n'est pas clair, il est impossible de se défendre, on a là affaire à un terrorisme de la langue qui mène au totalitarisme. 

Voltaire se bat sans cesse parce qu'il a peur du retour de la barbarie.

P.Danblon: Voltaire est-il le précurseur des intellectuels?

A.Versaille:Oui, dans tous les sens du termes, y compris dans ses erreurs. N'ayant aucune qualité pour intervenir, il fait du procès une "affaire". Il sait où "sont les caméras"; il sait comment parler à chacun tout en étant prudent. Ainsi, le Traité de la tolérance (plus efficace parce que "a minima": il sait jusqu'où il peut aller trop loin mais ses idées ne sont pas plus avancées) ne doit pas être diffusé dans le peuple dont il a peur; Voltaire est un réformiste, pas un révolutionnaire. Il a également très peur de l'athéisme et ne av pas aussi loin que Diderot, par exemple.

Pourquoi l'affaire Calas est-elle une injustice?

Pour Voltaire, la justice est infectées de préjugés religieux. Mais c'est une erreur dans ce cas particulier: les juges n'étaient pas des fanatiques mais ils appliquaient simplement ; c'est un bel exemple de "barbarie ordinaire". On peut rapprocher leur attitude de l'indifférence de Madame de Sévigné, par exemple, quand elle narre l'exécution de la Brinvilliers. Toutefois, le XVIIIe siècle est plus sentimental: c'est le début du préromantisme. 

Voltaire pense que l'humanisation de la justice doit passer par sa laïcisation: une péché n'est pas un délit.

P.Danblon: Auriez-vous été l'ami de Voltaire?

A.Versaille: Ce n'est pas un homme sympathique mais il aide à réfléchir. On ne sait rien de sa vie, alors que ses écrits représentent des quantités de volumes. Une seule part de lui est attachante: sa superficialité comme moyen d'échapper à la mort. 

P.Danblon: De quoi Voltaire vivait-il?

A.Versaille: C'était un capitaliste, un rentier qui pensait que le commerce rapproche les hommes et est donc un bien. Il y avait aussi une part de racisme en lui et il vivait du commerce du "bois d'ébène". Mais il pose les bonnes questions, apprend à douter et sa pensée ne peut pas être récupérée ni entrer dans aucun système politique.

P.Danblon: Qu'est-ce qui fait courir Voltaire?

La peur de la barbarie, la fragilité des acquis, un sens de la justice, il n'y a pas de terrorisme de la pensée chez lui.