Textes sur la torture: |
Si l'on s'en réfère à la définition du Petit Robert I (édition 1993), l'Inquisition est une "juridiction ecclésiastique d’exception instituée par le pape Grégoire IX pour la répression, dans toute la chrétienté, des crimes d’hérésie et d’apostasie, des faits de sorcellerie et de magie, active du XIIIe au XVIe siècle. (Saint-Office : Congrégation romaine instituée par le pape Paul III en 1542 pour diriger les inquisiteurs et juger souverainement les affaires d’hérésie)." On pourra ajouter à cela
que, créée initialement pour lutter contre les hérétiques (cathares,
vaudois et patarins), elle agit ensuite contre d’autres hérésies, la
sorcellerie et, en Espagne - où elle se maintint bien longtemps -,
contre les juifs et les musulmans convertis et relaps. Elle fut
également utilisée souvent comme un instrument politique (par exemple,
en France, par le roi Philippe le Bel contre les templiers). À cause de son intransigeance et parfois de sa férocité, elle suscita l’opposition de la population mais aussi d'autorités religieuses dépossédées de leurs prérogatives. La procédure inquisitoriale
se basait sur des dénonciations secrètes, à la suite desquelles le
suspect était amené à avouer, souvent après une mise à la question
autorisée dès 1252. Les sentences étaient proclamée au cours d’un
« sermon général », le fameux autodafé (acte de foi en
portugais). Diverses peines pouvaient être prononcées (port de signes
infamants, flagellation, prison, pèlerinages, confiscation des biens) ;
ceux qui refusaient d’abjurer ou se rétractaient étaient condamnés au
bûcher et remis à la justice séculière (le « bras séculier »). Devenue la Congrégation du
Saint-Office, l’Inquisition fut chargée de l’index dès 1917. Paul VI
réforma cette congrégation et la renomma « Congrégation pour la doctrine
de la foi » en 1965. L'histoire a retenu les noms d'Inquisiteurs fameux : Guillaume Arnaud pour le Midi de la France, Bernard Gui, Torquemada en Espagne. (D’après Petit Robert, II, 1993). On mentionnera également Nicolas Eymerich dont on vient de publier le manuel et qu'on retrouvera comme héros d'une série de romans (voir ci-dessous). |
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Francisco Goya, Scène d'Inquisition
c. 1816, huile sur toile, 46 x 73 cm, On notera que cette peinture, loin de représenter une scène de torture ou d'autodafé, montre la séance du Tribunal et surtout la confusion des personnages qui y participent. Le peintre met ainsi en cause non seulement l'institution mais aussi son fonctionnement. Pour en lire plus sur l'interprétation à donner cette oeuvre: http://www.nouvelobs.com/hs_christ/peinture6.html |
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Deux "Caprichos" de Goya Les gravures, outre le fait qu'elles sont anticléricales, montrent les accessoires habituels du procès d'Inquisition et, en particulier, le "San Benito"
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L'inquisition, un thème littéraire contemporain
Plusieurs romans récents exploitent le thème de l’Inquisition : 1. De manière anecdotique, on mentionnera le choix que fait l’auteur italien de Science-fiction Valerio Evangelisti d’un inquisiteur comme héros de sa série Nicolas Eymerich inquisiteur. Son approche est assez stéréotypée, en ce sens qu’il exploite les images traditionnellement attribuées aux détenteurs de cette fonction. Il suffit pour s'en convaincre d'observer le portrait de couverture de l'inquisiteur : http://www.cafardcosmique.com/auteur/evangelisti.html.
Les caractéristiques stéréotypée de l'inquisiteur, se retrouvent
également dans le portrait de Bocanegra (Les Bûchers
de Bocanegra) et dans celui de Torquemada du Livre de
Saphir de Gilbert Sinoué ou du film de Ridley Scott,
Christophe Colomb 2. Dans le chef d’écrivains espagnols (A.Perez-Reverte, Les bûchers de Bocanegra) ou d’origine ibérique (M.Del Castillo, La tunique d’infamie), il s’agit le plus souvent d’aborder le problème du totalitarisme et il semble bien qu’ils utilisent l’Inquisition comme métaphore du franquisme. Dans cette optique politique, le roman de Del Castillo est du plus haut intérêt. Des pistes de réflexion pour approfondir la lecture:
Quelques extraits à retenir: Dans La Tunique d'infamie (les n° de pages renvoient à la première édition chez Fayard):
Dans Les Bûchers de Bocanegra (les n° de pages renvoient à l'édition de poche dans la collection Points), Perez-Reverte, comme avant lui Voltaire, associe politique et fanatisme religieux:
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Charles De Coster (1827-1879), La Légende d'Ulenspiegel (1867) De Coster est un pionnier de la littérature belge de langue française, grâce à des oeuvres publiées à une époque où les notre littérature est pratiquement inexistante, avant les années 1880 et l'émergence de La Jeune Belgique. Cette épopée raconte la vie légendaire d'un héros flamand, Thyl Ulenspiegel, qui symbolise la lutte pour la liberté au XVIe siècle et la révolte du peuple contre les exactions espagnoles (en particulier celles des troupes du roi Philippe II, sous les ordres du Duc d'Albe ). Le langage truculent, le mélange de registres en font une oeuvre unique pour son époque.
1. Dans cet épisode, le père du héros, le charbonnier Claes, est amené à comparaître devant le tribunal pour hérésie. On y retrouvera les personnages principaux: Soetkin, la mère de Thyl, Nele sa compagne, Katla voisine devenue folle après avoir subi l'épreuve du feu pour sorcellerie. Seul manque Lamme Goedzak, le compagnon d'aventures de Thyl, le Sancho de ce Don Quichotte flamand.
La
cloche dite borgstorm (tempête
du bourg) ayant appelé les juges au tribunal, ils se réunirent
dans la Vierschare, sur
les quatre heures, autour du tilleul de justice.
Claes
fut mené devant eux et vit, siégeant sous le dais, le bailli
de Damme, puis à ses côtés, et vis-à-vis de celui-ci, le
mayeur, les échevins et le greffier.
Le
populaire accourut au son de la cloche, en grande multitude, et
disant: « Beaucoup d'entre les juges ne sont pas là pour faire
oeuvre de justice, mais de servage impérial. »
Le
greffier déclara que, le tribunal s'étant réuni préalablement
dans la Vierschare, autour
du tilleul, avait décidé que, vu et entendu les dénonciations
et témoignages, il y avait eu lieu d'appréhender au corps
Claes, charbonnier, natif de Damme, époux de Soetkin, fille de
Joostens. Ils allaient maintenant, ajouta-t-il, procéder à
l'audition des témoins.
Hans
Barbier, voisin de Claes, fut d'abord entendu. Ayant prêté
serment, il dit : « Sur le salut de mon âme, j'affie et assure
que Claes, présent devant ce tribunal, est connu de moi depuis
bientôt dixsept ans, qu'il a toujours vécu honnêtement et
suivant les lois de notre mère sainte Église, n'a jamais parlé
d'elle opprobrieusement, ni logé à ma connaissance aucun hérétique,
ni caché le livre de Luther, ni parlé dudit livre, ni rien
fait qui le puisse faire soupçonner d'avoir manqué aux lois et
ordonnances de l'empire. Ainsi m'aient Dieu et tous ses saints.»
Jan
Van Roosebeke fut alors entendu et dit « que, durant l'absence
de Soetkin, femme de Claes, il avait maintes fois cru entendre
dans la maison de l'accusé deux voix d'hommes, et que souvent
le soir, après le couvre-feu, il avait vu, dans une petite
salle sous le toit, une lumière et deux hommes, dont l'un était
Claes, devisant ensemble. Quant à dire si l'autre homme était
ou non hérétique, il ne le pouvait, ne l'ayant vu que de loin.
Pour ce qui est de Claes, ajouta-t-il, je dirai, parlant en
toute vérité, que, depuis que je le connais, il fit toujours
ses Pâques régulièrement, communia aux grandes fêtes, alla
à la messe tous les dimanches, sauf celui du Saint-Sang et les
suivants. Et je ne sais rien davantage. Ainsi m'aient Dieu et
tous ses saints. »
Interrogé
s'il n'avait point vu dans la taverne de la Blauwe-Torre
Claes vendant des indulgences et se gaussant du purgatoire,
Jan Van Roosebeke répondit qu'en effet Claes avait vendu des
indulgences, mais sans mépris ni gaudisserie, et que lui, Jan
Van Roosebeke, en avait acheté, comme aussi avait voulu le
faire Josse Grypstuiver, le doyen des poissonniers, qui était là
dans la foule.
Le
bailli dit ensuite qu'il allait faire connaître les faits et
gestes pour lesquels Claes était amené devant le tribunal de
la Vierschare.
«
Le dénonciateur, dit-il, étant d'aventure resté à Damme,
afin de n'aller point à Bruges dépenser son argent en noces et
ripailles, ainsi que cela se pratique trop souvent dans ces
saintes occasions, humait l'air sobrement sur le pas de sa
porte. Étant là, il vit un homme qui marchait dans la rue du Héron.
Claes, en apercevant l'homme, alla à lui et le salua. L'homme
était vêtu de toile noire. Il entra chez Claes, et la porte de
la chaumine fut laissée entrouverte. Curieux de savoir quel
était cet homme, le dénonciateur entra dans le vestibule,
entendit Claes parlant dans la cuisine avec l'étranger d'un
certain Josse, son frère, qui, ayant été fait prisonnier
parmi les troupes réformées, fut, pour ce fait, roué vif non
loin d'Aix. L'étranger dit à Claes que l'argent qu'il avait reçu
de son frère étant de l'argent gagné sur l'ignorance du
pauvre monde, il le devait employer à élever son fils dans la
religion réformée. Il avait aussi engagé Claes à quitter le
giron de Notre Mère Sainte Église et prononcé d'autres
paroles impies auxquelles Claes répondait seulement par ces
paroles: « Cruels bourreaux! mon pauvre frère! » Et l'accusé
blasphémait ainsi Notre Saint-Père le Pape et Sa Majesté
Royale, en les accusant de cruauté parce qu'ils punissaient
justement l'hérésie comme un crime de lèse-majesté divine et
humaine. Quand l'homme eut fini de manger, le dénonciateur
entendit Claes s'écrier: «Pauvre Josse, que Dieu ait en sa
gloire, ils furent cruels pour toi. » Il accusait ainsi Dieu
même d'impiété, en jugeant qu'il peut recevoir dans son ciel
des hérétiques. Et Claes ne cessait de dire: « Mon pauvre frère! »
L'étranger, entrant alors en fureur comme un prédicant à son
prêche, s'écria : « Elle tombera la grande Babylone, la
prostituée romaine, et elle deviendra la demeure des démons et
le repaire de tout oiseau exécrable ! » Claes disait: «
Cruels bourreaux! mon pauvre frère! » (...) L'étranger
le voulant patrociner, Claes répondit : « Daignez, messire, ne
plus me tenir de pareils discours, qui, s'ils étaient entendus,
me susciteraient quelque méchant procès. » « Claes se leva pour aller à la cave et en remonta avec un pot de bière. « Je vais fermer la porte », dit-il alors, et le dénonciateur n'entendit plus rien, car il dut sortir prestement de la maison.
La
porte, ayant été fermée, fut toutefois rouverte à la nuit
tombante. L'étranger en sortit, mais il revint bientôt y frapper
disant : « Claes, j'ai froid; je ne sais où loger; donne-moi
asile; personne ne m'a vu entrer, la ville est déserte. » Claes
le reçut chez lui, alluma une lanterne, et on le vit, précédant
l'hérétique, monter l'escalier et mener l'étranger sous le
toit, dans une petite chambre dont la fenêtre ouvrait sur la
campagne... »
«
Qui donc, s'écria Claes, peut avoir rapporté tout cela, si ce
n'est toi, méchant poissonnier, que je vis le dimanche sur ton
seuil, droit comme un poteau, regardant hypocritement en l'air
voler les hirondelles? »
Et
il désigna du doigt Josse Grypstuiver, doyen des poissonniers,
qui montrait son laid museau dans la foule du peuple.
Le
poissonnier sourit méchamment en voyant Claes se trahir de la
sorte. Tous ceux du populaire, hommes, femmes et fillettes, s'entredirent
«Pauvre
bonhomme, ses paroles lui seront cause de mort sans doute. »
Mais
le greffer continuant sa déclaration
«
L'hérétique et Claes, dit-il, devisèrent cette nuit-là
ensemble longuement, et aussi pendant six autres, durant
lesquelles on pouvait voir l'étranger faire force gestes de
menace ou de bénédiction, lever les bras au ciel comme font ses
pareils en hérésie. Claes paraissait approuver ses propos.
«
Certes, durant ces journées, soirées et nuits, ils devisèrent
opprobrieusement de la messe, de la confession, des indulgences et
de Sa Majesté Royale... »
«
Nul ne l'a entendu, dit Claes, et l'on ne peut m'accuser ainsi
sans preuves!
Le
greffier repartit « On a entendu autre chose. Lorsque l'étranger sortit de chez toi, le septième jour, à la dixième heure, le soir étant tombé, tu lui fis route jusque près de la borne du champ de Katheline. Là il s'enquit de ce que tu avais fait des méchantes idoles - et le bailli se signa de madame la Vierge, de monsieur saint Nicolas et de monsieur saint Martin. Tu répondis que tu les avais brisées et jetées dans le puits. Elles furent, en effet, trouvées dans ton puits, la nuit dernière, et les morceaux en sont dans la grange de torture. » A ce propos, Claes parut accablé. Le bailli lui demanda s'il n'avait rien à répondre, Claes fit signe de la tête que non. Le bailli lui demanda s'il ne voulait pas rétracter la maudite pensée qui lui avait fait briser les images et l'erreur impie en vertu de laquelle il avait prononcé des paroles opprobrieuses à Sa Majesté Divine et à Sa Majesté Royale.
Claes
répondit que son corps était à Sa Majesté Royale, mais que sa
conscience était à Christ, dont il voulait suivre la loi. Le
bailli lui demanda si cette loi était celle de Notre Mère Sainte
Église. Claes répondit « Elle est dans le saint Évangile. »
Sommé
de répondre à la question de savoir si le pape est le représentant
de Dieu sur la terre: « Non », dit-il. Interrogé s'il croyait qu'il fût défendu d'adorer les images de madame la Vierge et de messieurs les Saints, il répondit que c'était de l'idolâtrie. Questionné sur le point de savoir si la confession auriculaire est chose bonne et salutaire, il répondit « Christ a dit : « Confessez-vous les uns aux autres. » Il fut vaillant en ses réponses, quoiqu'il parût bien marri et effrayé au fond de son coeur. Huit heures étant sonnées et le soir tombant, messieurs du tribunal se retirèrent, remettant au lendemain le jugement définitif. La Légende d'Ulenspiegel, I, 70. 2. Condamné à être brûlé, Claes subit son châtiment:
Le lendemain, qui était le jour du supplice, les voisins vinrent, et par pitié enfermèrent ensemble, dans la maison de Katheline, Ulenspiegel, Soetkin et Nele. Mais ils n'avaient point pensé qu'ils pouvaient de loin entendre les cris du patient, et par les fenêtres voir la flamme du bûcher. Katheline rôdait par la ville, hochant la tête et disant - Faites un trou, l'âme veut sortir. A neuf heures, Claes en son linge, les mains liées derrière le dos, fut mené hors de sa prison. Suivant la sentence, le bûcher était dressé dans la rue de Notre-Dame, autour d'un poteau planté devant les bailles de la Maison commune. Le bourreau et ses aides n'avaient pas encore fini d'empiler le bois. Claes, au milieu de ses happe-chair, attendait patiemment que cette besogne fût faite, tandis que le prévôt à cheval, et les estafiers du bailliage, et les neuf lansquenets appelés de Bruges, pouvaient à grand-peine tenir en respect le peuple grondant. Tous disaient que c'était cruauté de meurtrir ainsi en ses vieux jours injustement un pauvre bonhomme si doux, miséricordieux et vaillant au labeur. Soudain ils se mirent à genoux et prièrent. Les cloches de Notre-Dame sonnaient pour les morts. Katheline était aussi dans la foule de peuple, au premier rang, toute folle. Regardant Claes et le bûcher, elle disait hochant la tête - Le feu! le feu! Faites un trou : l'âme veut sortir. Soetkin et Nele, entendant le son des cloches, se signèrent toutes deux. Mais Ulenspiegel ne le fit point, disant qu'il ne voulait plus adorer Dieu à la façon des bourreaux. Et il courait dans la chaumine, cherchant à enfoncer les portes et à sauter par les fenêtres ; mais toutes étaient gardées. Soudain Soetkin s'écria, en se cachant le visage dans son tablier - La fumée! Les trois afigés virent en effet dans le ciel un grand tourbillon de fumée toute noire. C'était celle du bûcher sur lequel se trouvait Claes attaché à un poteau, et que le bourreau venait d'allumer en trois endroits au nom de Dieu le Père, de Dieu le Fils et de Dieu le Saint-Esprit. Claes regardait autour de lui, et n'apercevant point dans la foule Soetkin et Ulenspiegel, il fut aise, en songeant qu'ils ne le verraient point souffrir. On n'entendait nul autre bruit que la voix de Claes priant, le bois crépitant, les hommes grondant, les femmes pleurant, Katheline disant : « Otez le feu, faites un trou : l'âme veut sortir » , et les cloches de Notre-Dame sonnant pour les morts. Soudain Soetkin devint blanche comme neige, frissonna de tout son corps sans pleurer, et montra du doigt le ciel. Une flamme longue et étroite venait de jaillir du bûcher et s'élevait par instants au-dessus des toits des basses maisons. Elle fut cruellement douloureuse à Claes, car, suivant les caprices du vent, elle rongeait ses jambes, touchait sa barbe et la faisait fumer, léchait les cheveux et les brûlait. Ulenspiegel tenait Soetkin dans ses bras et voulait l'arracher de la fenêtre. Ils entendirent un cri aigu, c'était celui que jetait Claes dont le corps ne brûlait que d'un côté. Mais il se tut et pleura. Et sa poitrine était toute mouillée de ses larmes. Puis Soetkin et Ulenspiegel entendirent un grand bruit de voix. C'étaient des bourgeois, des femmes et des enfants criant - Claes n'a pas été condamné à brûler à petit feu, mais à grande flamme. Bourreau, attise le bûcher! Le bourreau le fit, mais le feu ne s'allumait pas assez vite. - Étrangle-le, crièrent-ils. Et ils jetèrent des pierres au prévôt. - La flamme! la grande flamme! cria Soetkin.
En
effet, une flamme rouge montait dans le ciel au milieu de la fumée. - Il va mourir, dit la veuve. Seigneur Dieu ! prenez en pitié l'âme de l'innocent. Où est le roi, que je lui arrache le coeur avec mes ongles ? Les cloches de Notre-Dame sonnaient pour les morts. Soetkin entendit encore Claes jeter un grand cri, mais elle ne vit point son corps se tordant et criant à cause de la douleur du feu, ni son visage se contractant, ni sa tête qu'il tournait de tous côtés et cognait contre le bois de l'estache. Le peuple continuait de crier et de siffler, les femmes et les garçons jetaient des pierres, quand soudain le bûcher tout entier s'enflamma, et tous entendirent, au milieu de la flamme et de la fumée, Claes disant : - Soetkin ! Thyl ! Et sa tête se pencha sur sa poitrine comme une tête de plomb. Et un cri lamentable et aigu fut entendu sortant de la chaumine de Katheline. Puis nul n'ouït plus rien, sinon la pauvre affolée hochant la tête et disant : « L'âme veut sortir. » Claes avait trépassé. Le bûcher ayant brûlé s'affaissa aux pieds du poteau. Et le pauvre corps tout noir y resta pendu par le cou. Et les cloches de Notre-Dame sonnaient pour les morts. La Légende d'Ulenspiegel, I, 70. |
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Voltaire, Candide Il s’agit davantage d’une dénonciation du fanatisme religieux que d’une analyse de type politique.
CHAPITRE
SIXIÈME COMMENT ON FIT UN BEL AUTODAFÉ POUR EMPECHER LES TREMBLEMENTS DE TERRE,ET COMMENT CANDIDE FUT BLESSÉ
Après
le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de
Lisbonne, les sages du pays n'avaient pas trouvé un moyen plus
efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple
un bel autodafé; il était décidé par l'université de Coïmbre
que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en
grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la
terre de trembler.
On
avait en conséquence, saisi un Biscayen convaincu d'avoir épousé
sa commère, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en
avaient arraché le lard : on vint lier après le dîner le
docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un pour avoir parlé,
et l'autre pour avoir écouté avec un air d'approbation : tous
deux furent menés séparément dans des appartements d'une extrême
fraîcheur, dans lesquels on n'était jamais incommodé du soleil
: huit jours après ils furent tous deux revêtus d'un san
benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre
et le sanbenito de Candide étaient peints de flammes renversées,
et de diables qui n'avaient ni queues ni griffes; mais les diables
de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient
droites. Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et
entendirent un sermon très pathétique, suivi d'une belle musique
en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu'on
chantait; le Biscayen et les deux hommes qui n'avaient point voulu
manger de lard furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce
ne soit pas la coutume. Le même jour, la terre trembla de nouveau
avec un fracas épouvantable.
Candide
épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se
disait à lui-même: « Si c'est ici le meilleur des mondes
possibles, que sont donc les autres? Passe encore si je n'étais
que fessé, je l'ai été chez les Bulgares; mais, ô mon cher
Pangloss ! le plus grand des philosophes, faut-il vous avoir
vu pendre, sans que je sache pourquoi! Ô mon cher anabaptiste! le
meilleur des hommes, faut-il que vous ayez été noyé dans le
port! ô mademoiselle Cunégonde! la perle des filles, faut-il
qu'on vous ait fendu le ventre! »
Il
s'en retournait, se soutenant à peine, prêché, fessé, absous
et béni, lorsqu'une vieille l'aborda, et lui dit : « Mon fils,
prenez courage, suivez-moi. »
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Sur la torture 1.Montaigne, Essais C’est une dangereuse invention que celle des tortures et il semble que c’est plutôt une mise à l’épreuve de la capacité de souffrir qu’une mise à l’épreuve de la vérité. Celui qui peut les supporter cache la vérité. Celui qui peut les supporter cache la vérité et il en va de même… pour celui qui ne peut pas les supporter. Car pourquoi la douleur me fera-t-elle plutôt confesser ce qui est qu’elle ne me forcera à dire ce qui n’est pas ? réciproquement, si celui qui n’a pas fait ce dont on l’accuse peut trouver en lui la force de supporter ces tourments, pourquoi un coupable ne trouverait-il pas une telle force puisqu’il peut, en contre partie, s’assurer la vie sauve ? Je pense que le fondement de cette invention est la prise en considération de l’effort de la conscience. Car, dans le cas du coupable, il semble qu’elle serve d’adjuvant à la torture pour lui faire confesser sa faute, et qu’elle l’affaiblisse, et dans l’autre cas, qu’elle fortifie l’innocent contre la torture. À vrai dire, c’est un moyen plein d’incertitude et de danger. Que ne dirait-on, que ne ferait-on pour échapper à d’aussi vives douleurs ?
Etiam
innocentes cogit mentiri dolor[1]. Il arrive que celui que le juge a torturé afin de ne pas le faire mourir innocent, il le fasse mourir et innocent et torturé. À cause de la torture des milliers de gens se sont chargés de fausses confessions. Parmi ceux-là, je place Philotas, considérant les circonstances du procès que lui fit Alexandre et la progression des tortures auxquelles il fut soumis.
Toujours
est-il que la torture est réputée le moindre mal que
l’humaine faiblesse ait pu inventer.
Invention
bien inhumaine et bien inutile, à mon sens ! Plusieurs
nations, moins barbares en cela que la grecque et la romaine qui
les tiennent pour barbares, estiment horrible et cruel de
tourmenter et de désarticuler un homme dont la faute est encore
douteuse. Qu’en peut-il, lui, de votre ignorance ? N’êtes-vous
pas injustes vous qui, pour ne pas le tuer sans raison, lui
faites pis que le tuer ? La preuve en est bien ainsi, la
voici : voyez le nombre de fois où un homme préfère
mourir sans raison que subir cette procédure d’information
pire que le supplice que souvent, par sa cruauté, elle avance
et accomplit.
Je
ne sais d’où je tiens ce conte, mais il rapporte exactement
la conscience de notre justice. Une villageoise accusait devant
un général d’armée, grand justicier, un soldat d’avoir
arraché à ses petits enfants le peu de bouillie qu’il lui
restait pour les nourrir, l’armée ayant ravagé tous les
villages des environs. De preuve, il n’y en avait point. Le général,
après avoir sommé la femme de bien regarder à ce qu’elle
disait, d’autant qu’en cas de mensonge elle serait coupable
de son accusation, fit, comme elle persistait, ouvrir le
ventre au soldat pour connaître la vérité. Il se trouva que
la femme avait raison. La condamnation avait tenu lieu
d’instruction.
(Modernisation
d’un extrait du Livre II, chapitre V) [1] La souffrance force à mentir même les innocents. |
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2.
Voltaire, Dictionnaire
philosophique portatif, article
"Torture"
Les Romains n'infligèrent la torture qu'aux esclaves, mais les esclaves n'étaient pas comptés pour des hommes. Il n'y a pas d'apparence non plus qu'un conseiller de la Tournelle regarde comme un de ses semblables un homme qu'on lui amène hâve, pâle, défait, les yeux mornes, la barbe longue et sale, couvert de la vermine dont il a été rongé dans un cachot. Il se donne le plaisir de l'appliquer à la grande et à la petite torture, en présence d'un chirurgien qui lui tâte le pouls, jusqu'à ce qu'il soit en danger de mort, après quoi on recommence ; et, comme dit très bien la comédie des Plaideurs : «Cela fait toujours passer une heure ou deux. » Le grave magistrat qui a acheté pour quelque argent le droit de faire ces expériences sur son prochain, va conter à dîner à sa femme ce qui s'est passé le matin. La première fois madame en a été révoltée, à la seconde elle y a pris goût, parce qu'après tout les femmes sont curieuses ; et ensuite la première chose qu'elle lui dit lorsqu'il rentre en robe chez lui : « Mon petit cœur, n'avez-vous fait donner aujourd'hui la question à personne ? » Les Français, qui passent, je ne sais pourquoi, pour un peuple fort humain, s'étonnent que les Anglais, qui ont eu l'inhumanité de nous prendre tout le Canada, aient renoncé au plaisir de donner la question. Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d'un lieutenant général des armées, jeune homme de beaucoup d'esprit et d'une grande espérance, mais ayant toute l'étourderie d'une jeunesse effrénée, fut convaincu d'avoir chanté des chansons impies, et même d'avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d'Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement qu'on lui arrachât la langue, qu'on lui coupât la main, et qu'on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l'appliquèrent encore à la torture pour savoir précisément combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vu passer, le chapeau sur la tête. Ce n'est pas dans le XIIIe ou dans le XIVe siècle que cette aventure est arrivée, c'est dans le XVIIIe. Les nations étrangères jugent de la France par les spectacles, par les romans, par les jolis vers, par les filles d'Opéra, qui ont les mœurs fort douces, par nos danseurs d'Opéra, qui ont de la grâce, par Mlle Clairon, qui déclame des vers à ravir. Elles ne savent pas qu'il n'y a point au fond de nation plus cruelle que la française. Les Russes passaient pour des barbares en 1700, nous ne sommes qu'en 1769 ; une impératrice vient de donner à ce vaste État des lois qui auraient fait honneur à Minos, à Numa, et à Solon, s'ils avaient eu assez d'esprit pour les inventer. La plus remarquable est la tolérance universelle, la seconde est l'abolition de la torture. La justice et l'humanité ont conduit sa plume ; elle a tout réformé. Malheur à une nation qui, étant depuis longtemps civilisée, est encore conduite par d'anciens usages atroces! «Pourquoi changerions-nous notre jurisprudence ? dit-elle : l'Europe se sert de nos cuisiniers, de nos tailleurs, de nos perruquiers ; donc nos lois sont bonnes. » |
|||
3.
Barbier, Chronique
de la Régence et du règne de Louis XV: "Le
supplice de Damiens."
Après
l'amende honorable, Damiens a été conduit à la Grève, toutes
les boutiques et fenêtres garnies de monde pour le voir passer. Arrivé
à la Grève, dans l'enceinte garnie tout autour d'archers à pied
et à cheval, il a monté à l'Hôtel de Ville, où étoient les
quatre commissaires et autres ; mais point de princes ni de ducs.
Il y est resté près d'une heure, d'où on l'a redescendu comme
on l'avoit monté, dans une couverture, pour le mettre sur l'échafaud
; c'est-à-dire sur la table de bois où on l'a attaché. Il
est resté près d'une demi-heure assis vis-à-vis de l'échafaud
tandis que l'on préparoit tout pour son supplice, et qu'il
regardoit tranquillement. Il auroit eu le temps de déclarer ce
qu'il auroit voulu au peuple, s'il avoit eu des complices.
Le
supplice a commencé vers les cinq heures : la main brûlée, le
tenaillement avec le plomb fondu lors duquel il a fait des cris
terribles ; ensuite il a été écartelé, ce qui a été long
parce qu'il était fort. On a été même obligé d'ajouter deux
chevaux de plus, quoique les quatre fussent vigoureux. Comme on ne
pouvait pas parvenir à l'écarteler, on a monté à l'Hôtel de
Ville demander aux commissaires la permission de donner un coup de
tranchoir aux jointures ; ce qui a été refusé d'abord, pour le
faire souffrir davantage, mais à la fin il a fallu le permettre.
Il n'y avoit personne monté sur les chevaux, ni bourreau, ni
huissiers comme on avait dit. Il a fait des cris, mais il n'a proféré
aucuns jurements soit à la question, soit au supplice. Les deux
cuisses ont été démembrées les premières, ensuite une épaule,
et alors le patient est expiré à six heures un quart, après
quoi les quatre membres et le corps ont été brûlés sur un bûcher.
Le
criminel a souffert les plus grands tourments, pendant plus de
cinq grands quarts d'heure, avec assez de fermeté. On dit que les
confesseurs n'ont pas été trop contents de lui pour la religion.
Les
toits de toutes les maisons dans la Grève, et les cheminées même,
étoient couverts de monde. Il y a eu même un homme et une femme
qui en sont tombés dans la place et qui en ont blessé d'autres. On a remarqué qu'il y avoit beaucoup de femmes, et même de distinction ; qu'elles n'ont point quitté les fenêtres, et qu'elles ont mieux soutenu l'horreur de ce supplice que les hommes, ce qui ne leur a pas fait honneur. |
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Ressources "Le livre noir de l'Inquisition" in L'Histoire, novembre 2001: un dossier important comprenant articles, chronologie, ressources... pour en voir le sommaire: http://www.histoire.presse.fr/ Albaret Laurent, L'Inquisition, Découvertes Gallimard, voir: http://www.gallimard.fr/cgi-bin/gallimard_catalogue_frame2.exe?numero_titre=1035840&collection=133300&collection_simple=333 Eymericus, Nicolaus, Le Manuel des Inquisiteurs, Albin Michel, Bibliothèque de l'évolution de l'humanité, 2001 Tincq
Henri , « Les bûchers de l'Inquisition sèment
la terreur » in Le Monde du mardi 20 juillet 1999 Oeuvres de fiction :
Eco
U., Le nom de la rose (Bernardo Gui) Gougaud
H., L’Inquisiteur (croisade albigeoise) Hugo
V., Torquemada - drame Perez-Reverte
A., La peau du tambour (la Congrégation pour la
doctrine de la foi aujourd’hui) Poe
E., Le puits et le pendule
Sinoué
G., Le livre de saphir (Torquemada)
Villiers
de l'Isle-Adam, La torture par l'espérance Filmographie
: Ridley Scott, Christophe
Colomb (Torquemada) Sites
à consulter:
sur
l'inquisition au Moyen Age et en Espagne: http://www.histoire.org/ma/articles/inquisition/inquisition-p1.htm les
Lettres de Joseph de Maistre sur l'Inquisition: http://cage.rug.ac.be/~dc/Literature/JMIE/JMIE1.html l'Inquisition
et les juifs d'Espagne: http://www.tradere.org/biblio/histjud/judhis34.htm sur
Valerio Evangelisti et son oeuvre: http://perso.club-internet.fr/rernould/zz.EvBio.html
- http://www.cafardcosmique.com/auteur/evangelisti.html
sur
Goya:
http://goya.unizar.es/InfoGoya/Work/CrInquisicion.html
(en anglais) http://www.artchive.com/artchive/G/goya/goya_inquisition.jpg.html http://perso.wanadoo.fr/jocelyn.bezecourt/goya.html
(les Caprichos: scènes d'anticléricalisme) sur
De Coster et La légende d'Ulenspiegel:
texte
intégral: http://abu.cnam.fr/cgi-bin/go?ulenspiegel1 biographie:
http://www.restode.cfwb.be/francais/_Auteurs/AUTEURS.htm
- http://www.francophonie.philo.ulg.ac.be/CWB.DeCoster le
roman et son adaptation cinématographique russe:
http://www.lamediatheque.be/CENTAUTEURS/html/de_coster_charles_.html pour
une comparaison entre l'oeuvre de De Coster et la peinture
de Breughel: http://www.restode.cfwb.be/francais/_ARTS/Breughel/Aveugles/index.asp |