Le roman d'énigme criminelle |
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1. Généralités |
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1. Il s'agit d'un récit fictif (même s'il peut être inspiré d'un fait réel) qui traite de faits concernant la police (qui ne se réalisent pas nécessairement et ne sont pas obligatoirement des crimes).Il existe un enquêteur, éventuellement le lecteur. La plupart du temps, le surnaturel en est exclus. Selon Todorov, est policier ce qui se désigne comme tel grâce à ce que Genette appelle le péritexte éditorial: titre (par exemple, dans Une Étude en rouge, l'adjectif rouge évoque le sang), titre de la collection (exemple: Le Masque, La Série noire), le sous-genre, le texte de la quatrième de couverture, l'illustration de la première de couverture. |
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Pour qu’il y ait récit policier, ce n’est pas le sujet qui importe mais l’intention de l’auteur ; c’est ainsi que de nombreux romans contenant tous les ingrédients cités plus haut ne sont pas des récits policiers parce que l’auteur ne les revendique pas comme tels : Les Gommes de Robbe-Grillet n’est pas un roman policier, Le Chien jaune de Simenon en est un (Marthe Robert) 2. Toujours selon Todorov[1], on peut distinguer trois genres de policier:
Jacques Dubois[2] distingue, lui, quatre catégories :
D’autre part, la revue Écrire pour aujourd’hui[3] propose une nomenclature basée sur huit paramètres à classer sous forme de tableau : « 4 groupes de romans policiers Pour synthétiser les tendances
générales du Policier depuis on peut utiliser les huit
paramètres suivants. Pour chacun d’eux, on attribuera une note
selon son importance dans le roman par rapport aux autres
paramètres de la liste. 1. - Énigme : très importante à très peu importante. 2. - Détective: très positif à très négatif. 3. - Indices: très importants à peu importants. 4. - Enquête: très importante à peu importante. 5. - Milieu social: peu important à très important. 6. - Suspense/angoisse : faible à fort. 7. - Violence: très faible à très forte. 8. - Sexualité: très faible à très forte. Placés dans cet ordre, ces paramètres font apparaître quatre groupes de romans selon la diagonale du tableau. A - En haut à gauche, le roman à énigme anglais caractérisé par l'importance de l'énigme, des indices, de l'enquête et un détective-héros positif (Conan Doyle, Agatha Christie...). B - Le roman psychosocial franco-belge, où l'importance est donnée aux paramètres du milieu du tableau: le détective, l'enquête et le milieu social (Simenon, Steeman, Léo Malet...). C - Vers le bas et le centre, le roman d'angoisse à la française (Boileau-Narcejac, Sébastien Japrisot) centré sur le suspense et la violence. D - Tout en bas à droite, le roman noir américain et le "néo-polar", centrés sur le milieu social, la violence et la sexualité, avec un héros détective plutôt négatif. Grosso modo, on va du plus intellectuel (le roman à énigme) au plus viscéral (le roman noir)» Enfin, Stéphane Benassi dans la revue Synopsis[4], tout en partant d’Œdipe Roi et d’une définition de l’énigme, s’intéresse davantage à la fiction policière télévisée et cinématographique et propose de classer celle-ci selon le critère de « reconnaissance » du lecteur/spectateur ; celui-ci est-il en avance sur le détective, à égalité ou en retard ? Il prend ses exemples également dans la littérature et cette approche a le mérite de ne pas prêter à confusion. 3. Le récit policier met obligatoirement en jeu une mystification, une transgression et au moins une fausse piste possible. Il existe deux types de mystification:
[1] Todorov T., Poétique de la prose, Seuil, 1978 (réédit. De 1971) texte dans Lits M., L’Énigme criminelle, anthologie, Bruxelles, Didier-Hatier, 1991, p.43-44 [2] Dubois J., Le Roman policier ou la modernité, Nathan, 1992 [3] Écrire pour aujourd’hui n°31, septembre-octobre 1995, p.24, cité par Aziza Cl., « Clés de l’œuvre » dans Edgar Allan Poe, Les trois enquêtes du chevalier Dupin, Pocket, 2003, coll. Classiques [4] "Les 36 actes dramatiques. Du mythe d'Oedipe au commissaire Maigret, comment résoudre une énigme?" in Synopsis n°11, janvier-février 2001 |
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2. Le roman d'énigme criminelle |
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ConstructionLe roman d’énigme se construit selon deux mouvements successifs :
Ces deux mouvements correspondent bien à deux règles de S.S.Van Dine :
[1] Voir Lits M., L’Énigme criminelle, anthologie, Bruxelles, Didier-Hatier, 1991, p.41-42 ou http://www.frankreichforum.org/bourdiertext.htm |
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Essai de définition selon M.Lits[1]Selon l’auteur, Baudelaire, traduisant le titre de la nouvelle d’Edgar Allan Poe, Double assassinat dans la rue Morgue a magnifiquement défini ce nouveau genre en en énumérant les traits essentiels :
Ce terme reflète bien l’organisation structurelle du récit qui n’est pas linéaire, comme on l’a vu précédemment, le crime a déjà eu lieu et le détective va effectuer une remontée dans le temps pour en donner l’explication. Comme Poe le dit lui-même, l’auteur conçoit son histoire de manière inversée[2]. Il s’agit donc d’une construction double : la relation du crime et le récit de l’enquête, les histoires mettant en scène deux héros : le meurtrier et l’enquêteur qui est son double inversé. On peut souvent ajouter un 3e personnage, le narrateur, confident, faire-valoir et reflet de l’enquêteur dont le commentaire double la narration et permet une dualité de lecture.
Il s’agit bien ici de la thématique même si – n’en déplaise à Van Dine – un cadavre n’est pas toujours indispensable. L’enquête doit se base sur un acte criminel commis ou supposé tel. Cela implique un criminel, une victime, un détective et, selon J.Dubois, des suspects. Le récit doit répondre à quelques questions par rapport à cet acte criminel :
Il est souhaitable que le crime soit important et qu’il existe des tentatives de brouiller les pistes pour éviter un pur jeu de raisonnement, du type « Cluedo ».
Il s’agit là de la dimension sociologique de l’histoire. Le récit policier demande un environnement urbain (voir le dossier sur la Modernité), en effet, l’industrialisation attire en ville une faune interlope. La conséquence est rapide : dès les années 1830, sont mises des polices publiques (dont on trouvera trace dans la littérature populaire mais pas seulement), basées sur l’organisation de corps constitués reconnaissables par leur uniforme et utilisant des méthodes scientifiques que reprendront à leur compte les détectives de la fiction.[3]
[1]Lits M., L’Énigme criminelle, vademecum du professeur, Didier-Hatier, 1991 [2] E.A.Poe, Histoires grotesques et sérieuses, M.Lévy, 1864, cité par Lits M., L’Énigme criminelle, anthologie, Didier-Hatier, 1991, p.39 et E.A.Poe, « Les contes de Poe », article paru dans l’Aristidean d’octobre 1845, in Edgar Allan Poe, La Genèse d’un poème, L’Herne, coll. Confidences, 1997, p.108-109 [3] On lira avec intérêt l’article du sociologue Patrick Smets paru dans le Forum du Soir, le 16 juillet 2003 et intitulé « Gangs of New York » : Scorsese et l’État boucher, dans lequel l’auteur, explique le développement des gangs dans la ville moderne du XIXe siècle tel qu’il l’a vu dans le film de Scorsese. Sa conclusion selon laquelle l’État est simplement le gang qui a mieux réussi a provoqué quelques réactions indignées. |
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Les personnages (selon J.Dubois)Quelques personnages de base remplissent les fonctions textuelles ; le plus souvent, ils sont relativement schématiques, même si certains auteurs s’efforcent de leur donner une certaine épaisseur psychologique, G.Simenon, par exemple. Il s’agit de la victime, de l’enquêteur et du coupable, auxquels il faut ajouter le suspect. Le détective, jumeau du coupable, on l’a vu, condense dans sa personne quatre images ; il est en effet :
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La mystificationOn l’a vu, le fonctionnement correct du récit d’énigme policière (et le plaisir de lecture) repose sur la mystification du lecteur. Les moyens d’y parvenir sont variés :
Il faut faire en sorte que le lecteur ne soupçonne pas le coupable, pour ce faire,
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Les indicesDès l’entrée dans le roman, l’auteur va s’efforcer de créer un effet de réel grâce à quelques détails. Rétrospectivement le lecteur s’apercevra que chaque détail peut être un indice ; sa difficulté étant de trier les indices réels de ceux qui n’en sont pas. Les indices sont des résidus des traces effacées qui permettront de reconstituer l’histoire passée, c’est-à-dire l’objet de l’enquête. Pour les reconnaître, on peut se référer à leurs caractéristiques ; en effet, le bon indice doit être :
L’indice par excellence est la trace ou l’empreinte qui a été retenue par la police dès la fin du XIXe siècle. Grâce à la déduction, le détective passera de l’indice à l’objet de référence qui le fera progresser dans son enquête ou lui permettra de l’élucider. |
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