Notre littérature est riche en récits fantastiques, le plus souvent très différents, dans leur thématique et le traitement de celle-ci, de ceux qu'on peut trouver dans la littérature française d'ailleurs.

On avance généralement, comme explication, l'idée que la littérature en Belgique est le creuset où se fondent deux cultures: le cartésianisme française et l'imaginaire du nord. C'était surtout vrai au XIXe siècle et au début du XXe quand nombre d'écrivains flamands écrivaient en français et opéraient ainsi cette fusion.

Sans vouloir réfuter cette thèse, je pense que d'autres éléments doivent être pris en compte et je mentionnerai ici deux faits qui ne me paraissent pas négligeables:

1. Chez nous, survit une tradition populaire très ancrée dans le paganisme comme en témoignent rites individuels et folklore collectif. Ainsi le carnaval est-il davantage qu'une manifestation touristique, un rite réel de régénérescence, donnant au masque un rôle essentiel. On lira à ce sujet de nombreux contes fantastiques qui se situent à cette période, en particulier chez Michel de Ghelderode (y compris dans son théâtre) et Gérard Prévot. Les peintures de James Ensor bien sûr mais également les oeuvres de Rops par exemple nous apportent un témoignage supplémentaire de cette influence notable.
Cette persistance d'un fond ancien de croyances peut sans doute également expliquer la facilité avec laquelle la fête d'Halloween  s'est implantée chez nous, avec tous ces côtés commerciaux qu'on ne peut bien sûr que regretter. Comme le rappelait le théologien et liturgiste Hervé Cnudde, dans un article publié dans le journal Le Soir du 31 octobre 2000, des traditions proches des pratiques celtiques liées à la fête de Samain ont survécu en Belgique jusqu'à la deuxième guerre mondiale. On citera notamment l'habitude qu'avaient les enfants de creuser des betteraves pour en faire des têtes de morts, éclairées de l'intérieur par une bougie. Nombre de personnes âgées peuvent encore témoigner de l'utilisation qu'ils faisaient de ces "grigne-dints": mauvais tours aux voisins, visites au cimetière, quêtes enfantines.

2. La longue occupation espagnole (plus d'un siècle), de l'abdication de Charles Quint, souverain originaire des Pays-Bas de l'époque et qui avait établi sa Cour à Bruxelles, à la prise d'une grande partie du pays par les troupes de Louis XIV. Cette période a marqué la population mais pas particulièrement dans la langue, contrairement à ce que j'ai pu lire sous la plume d'un essayiste français: nous n'avons, en effet, jamais été de langue espagnole, n'oublions que La Cantilène de Sainte-Eulalie, un des premiers textes français est originaire du Hainaut. 

En revanche, l'imaginaire a été durablement impressionné par les agissements de l'occupant. S'il me reste un souvenir de mes cours d'histoire de Belgique en primaire, c'est bien celui des massacres et persécutions auxquels sont associés de manière indélébile deux noms: Philippe II et le Duc d'Albe. Bien sûr, des manifestations, témoins d'une religiosité toute andalouse et marquée par le poids de l'Inquisition, ont subsisté jusqu'aujourd'hui, comme la Procession des Pénitents à Furnes ou la Procession du Vendredi Saint à Lessines. Toutefois, c'est surtout du côté de l'art et de la littérature (et même du cinéma, souvenons-nous de La Kermesse héroïque)  qu'il faut chercher les traces les plus profondes de cette époque: les peintures de Breughel ou de Bosch mais aussi les textes de Charles De Coster (Thyl Ulenspiegel ou Les Contes flamands), l'univers de Ghelderode, le nombre important de versions du mythe de Don Juan, par exemple Le Burlador de Suzanne Lilar ou Don Juan de Bertin, influencés davantage par Tirso de Molina que par Molière.

Il est donc tout à fait intéressant de se pencher sur le fantastique pour l'observer d'un peu plus près.

Voir aussi Michel de Ghelderode, Sortilèges et autres contes crépusculaires