Quand
on a passé le lieu appelé la Petite-Flémalle, la chose
devient inexprimable et vraiment magnifique. Toute la vallée
semble trouée de cratères en éruption. Quelques-uns dégorgent
derrière les taillis des tourbillons de vapeur écarlate étoilée
d'étincelles; d'autres dessinent lugubrement sur un fond
rouge la noire silhouette des villages ; ailleurs les flammes
apparaissent à travers les crevasses d'un groupe d'édifices.
On croirait qu'une armée ennemie vient de traverser le pays, et
que vingt bourgs mis à sac vous offrent à la fois dans cette
nuit ténébreuse tous les aspects et toutes les phases de
l'incendie, ceux-là embrasés, ceux-ci fumants, les autres
flamboyants.
Ce
spectacle de guerre est donné par la paix ; cette copie
effroyable de la dévastation est faite par l'industrie. Vous
avez là sous les yeux les hauts fourneaux de M. Cockerill.
Un
bruit farouche et violent sort de ce chaos de travailleurs. J'ai
eu la curiosité de mettre pied à terre et de m'approcher d'un
de ces antres. Là, j'ai admiré véritablement l'industrie.
C'est un beau et prodigieux spectacle, qui, la nuit, semble
emprunter à la tristesse solennelle de l’heure quelque chose
de surnaturel. Les roues, les scies, les chaudières, les
laminoirs, les cylindres, les balanciers, tous ces monstres de
cuivre, de tôle et d'airain que nous nommons des machines et
que la vapeur fait vivre d'une vie effrayante et terrible,
mugissent, sifflent, grincent, râlent, reniflent, aboient,
glapissent, déchirent le bronze, tordent le fer, mâchent le
granit, et, par moments, au milieu des ouvriers noirs et enfumés
qui les harcèlent, hurlent avec douleur dans l'atmosphère
ardente de l’usine, comme des hydres et des dragons tourmentés
par des démons dans un enfer. |