Littérature
 
Tirso de Molina, Le Séducteur de Séville (1630) titre original: El Burlador de Sevilla y convidado de pietra
Pièce en 3 actes de Tirso de Molina  (Fray Gabriel Tellez - 1583-1648, un moine de la Merci).

Don Juan Tenorio est un jeune andalou très beau et très sensuel, libertin et coureur. C'est aussi un fils désobéissant. Il se montre orgueilleux, menteur, traître en amitié, impudent, parjure et prodigue. Vrai gentilhomme, il est fanatique en matière d'honneur. De plus, il éprouve une complaisance sacrilège pour le péché. Comme l'indique le titre espagnol, c'est avant tout un "burlador", qui use de tromperies pour arriver à ses fins: ainsi, il s'introduit dans le lit d'une de ses victimes en se faisant passer pour son fiancé (comme Jupiter dans Amphitryon). C'est un "homme sans nom", comme il le dit lui-même, qui profane tous ses devoirs et sera puni par Dieu et le roi.

Dans cette oeuvre, Don Juan apparaît comme un farceur mais aussi comme une sorte de "surmâle" chrétien, un de ces grands pécheurs qui fascinent le christianisme. Gregorio Marañon dans Don Juan et le donjuanisme voit en lui un homme incapable d'aimer, qui recherche la femme comme sexe, ce qui est une attitude immature; il cesse ainsi d'être un individu pour devenir cet "homme sans nom".

Pour le spécialiste italien G.Macchia, le succès de la pièce tient à ce qu'elle est l'expression d'une double protestation: contre l'idéalisation de la femme issue du roman courtois, du pétrarquisme et de la préciosité et contre le culte omniprésent de la mort.

L'intérêt de la pièce se situe dans le problème moral posé par la contradiction tragique entre honneur et péché. Mais on relèvera aussi l'absence de pitié pour les femmes: le droit qu'ont les pères de marier leur fille selon leurs intérêts est menacé par le déchaînement du corps féminin. Don Juan représente donc le châtiment des femmes inconstantes qui préfèrent leur réputation à la véritable vertu.

Cette oeuvre est aussi marquée par son origine géographique. En effet, l'Espagne des Habsbourg se distingue par une rigidité morale apparente qui cache en fait un libertinage effréné. Dès lors le mythe de Don Juan symbolise, dans ce contexte, la corruption d'une époque redoutant les châtiments et  marquée par la foi. Mais la pièce à structure théologique est également l'image d'une époque,

  • celle de la controverse religieuse entre prédestination et libre-arbitre. Ainsi Don Juan croit qu'un acte de contrition suffit et que Dieu lui laissera toujours le temps du repentir. Pervers, il garde les fondements de la morale qu'il transgresse, vit comme un impie mais ne devient pas incrédule,
  • celle du libertinage: Don Juan est homme de transgression, 
  • la civilisation baroque grâce aux machineries théâtrales, au goût de la métamorphose, du déguisement typique du baroque, mais aussi par la figure de "condottiere" du personnage.