I.
Dom Juan et Tartuffe: découverte du personnage
Objectifs:
-
Revoir
l'exposition au théâtre
-
Observer
la manière dont se construit le portrait d'un personnage
-
Comprendre
l'intérêt de la technique utilisée par Molière (on débouchera sur
la littérature libertine du XVIIe siècle)
Corpus:
-
Molière,
Dom Juan, Acte I, scènes 1et 2
-
Molière,
Tartuffe, Acte I en entier + Acte III, scène 2 et 3
Déroulement:
1.
Rappel: le rôle de l'exposition au théâtre:
Cette matière pourra avoir été vue précédemment.
Si ce n'est pas le cas, on pourra en faire découvrir les traits
principaux par l'observation de la scène 1 de l'acte I de Dom Juan. On
pourra également confronter un début de roman de Balzac (par exemple, le
début du Père Goriot) pour leur faire prendre conscience de la différence
fondamentale entre la narration et le "Drama" quant à la manière
d'informer le spectateur ou le lecteur.
a)
On demandera aux élèves de rappeler ce qu'est une scène
d'exposition au théâtre et à quoi elle sert.
A retenir: grâce à
l'exposition, le spectateur découvre un certains nombre d'éléments
nécessaires à la compréhension de la pièce et à la
connaissance des personnages:
-
lieu et temps de
l'action,
- identité, statut, rôle des
personnages,
- situation et manière dont
elle s'inscrit dans une histoire (que s'est-il passé avant le
lever du rideau?)
De
cette façon, l'exposition crée une attente chez le spectateur. |
b)
On fera rappeler les divers moyens techniques d'introduction de ces
informations (ce sera aussi l'occasion de revenir sur les notions de
"double énonciation" et de "didascalies").
A retenir: pour amener ces
informations de manière "naturelle" à la connaissance
du spectateur, divers moyens sont à la disposition du dramaturge:
- Le lieu et le temps de
l'action peuvent être évoqués grâce aux décors, costumes,
accessoires prévus dans les didascalies.
-
La plupart des
informations sont fournies par ce que disent les personnages
en scène. On peut utiliser divers sortes de "texte
dit":
- le monologue: un
personnage seul en scène se parle à lui-même (ex.:
Sosie dans Amphitryon de Molière, Argan dans Le
Malade imaginaire du même auteur),
- le dialogue: deux
personnages parlent entre eux et échangent des
informations. Si les informations étaient déjà connues
de chacun des deux, on parlera de "faux
dialogue", c'est fréquemment le cas dans la tragédie
lorsque le héros échange avec son confident (ex.:
Hippolyte et Théramène dans Phèdre de Racine).
|
2.
Application: la 1ère scène de Dom Juan
Montrer comment Molière construit son
exposition: informations apportées au spectateur - moyens utilisés.
a) didascalies:
éléments
de décors, costumes, ...: "Le théâtre représente un
palais", Sganarelle tient une tabatière
personnages en scène: Sganarelle, Gusman
Les didascalies sont réduites au minimum: un
palais permet d'imaginer que nous sommes dans une classe sociale supérieure.
On posera comme hypothèse que l'auteur laisse au grande liberté au
metteur en scène.
Les personnages vont dialoguer, si l'on
observe la longueur des répliques, on s'aperçoit que Gusman n'a pour
seule fonction que de permettre à Sganarelle de parler: c'est un simple
faire-valoir.
On remarquera que Don Juan n'apparaît pas
dans cette première scène.
b)
contenu des répliques:
Le début est surprenant: à quoi rime cet éloge
du tabac? c'est un sujet d'actualité: bien que le tabac soit déjà
utilisé depuis un siècle, Louis XIII en avait interdit l'usage et les dévots
le condamnaient. Sganarelle se révèle donc, grâce à ce discours
parodique (observer l'argumentation), en « révolte » contre
le système.
-
Nous
sommes dans un "faux dialogue": Sganarelle commence par
rappeler ce que lui a dit Guzman (qui doit bien le savoir):
manifestement, il s'adresse au public. C'est un cas typique de double
énonciation.
-
Nous
découvrons le statut de chacun des intervenants: Guzman est au
service de Dom Juan, Guzman à celui d'Elvire.
-
Nous
découvrons un premier portrait des personnages:
-
Elvire
est une épouse délaissée qui poursuit son mari volage, elle a fui
le couvent pour se marier.
-
Dom
Juan est présenté par Sganarelle comme "un grand seigneur méchant
homme": il ne croit en rien, est un séducteur impénitent, il
serait même polygame.
-
Tandis
que le portrait de Guzman n'apparaît pas réellement (il est réduit
à sa fonction), Sganarelle se révèle: provocateur de petite
envergure (le tabac), superstitieux, peu cultivé, peureux, lâche,
traître à son maître.
-
Nous
apprenons également ce qui s'est passé précédemment:
Dom Juan a séduit Elvire, l'a enlevée du couvent puis l'a épousée.
Peu de temps après, il est parti sous un prétexte quelconque après
avoir envoyé, devant lui, son valet Sganarelle. Elvire l'a poursuivi
et est arrivée au lieu où se trouvent Dom Juan et Sganarelle.
Nous découvrons donc
Dom Juan par le biais de ce qu'en dit son valet. Dès lors, une question
s'impose : celui-ci est-il crédible? Nous disposons d'éléments du
propre portrait de Sganarelle - spécialement le fait que, méprisant
son maître comme il fait, il reste à son service - qui doivent nous
inciter à la plus grande prudence.
3.
Dom Juan entre en scène: 2e scène
L'apparition du personnage va nous permettre
de le voir à l’œuvre et de porter un premier jugement sur lui.
a)
construction de la scène:
-
Enchaînement
de répliques courtes. Dom Juan presse le valet de questions: sur
Guzman et les raisons de sa présence, il demande également à
Sganarelle de sujet son comportement.
Une sorte de malaise se dégage de cet échange: Dom Juan joue au chat
et à la souris ; en réalité, il connaît les réponses mais
veut les entendre de la bouche de Sganarelle. Cet élément
psychologique (qu'on verra encore en action dans la scène suivante)
est intéressante à plus d'un titre:
-
elle
rend vraisemblable le faux dialogue de cette scène d'exposition,
-
elle
concrétise la lâcheté du valet,
-
elle
montre un aspect de la personnalité de Dom Juan,
-
elle
donne un premier éclairage sur les relations entre maître et
valet.
-
À
l'invitation de son maître qui lui "donne la liberté de
parler", Sganarelle dévoile ses sentiments, cela entraîne un débat
entre le maître et le valet sur leurs valeurs respectives. Dom Juan a
le plus souvent la parole, il parle avec aisance, développe un
discours cohérent dans de longues répliques. Le valet est incapable
de répondre, il est submergé et perd pied. Toutefois, lorsqu'il est
question de religion, Don Juan essaie d’esquiver le débat.
-
La
scène se termine pas l'annonce de l'arrivée d'Elvire. Sganarelle a
de nouveau trahi son maître: il ne l'a pas prévenu. Sganarelle
reprend le dessus.
b)
le débat Dom Juan / Sganarelle:
-
Sg.:
"Je n'approuve point votre méthode ... et je trouve fort d'aimer
de tous côtés comme vous faites"
arguments de Dom Juan:
-
il
refuse de renoncer à toutes les femmes pour une seule,
-
l'amour
n'engage pas l'âme à faire une injustice aux autres femmes,
-
les
débuts de l'amour sont les plus intéressants,
-
le
plaisir de l'amour est dans le changement,
-
quand
la femme est séduite, il n'y a plus aucun intérêt,
-
l'amour
est une conquête: on éprouve du plaisir à aller de victoire en
victoire. On remarquera l'utilisation de métaphores et de
vocabulaire guerriers.
-
réponse
de Sganarelle: il est désorienté. Il reconnaît la supériorité
verbale de son maître.
-
Sg.:
"...se jouer ainsi d'un mystère sacré". "... les
libertins ne font jamais une bonne fin "
réponse de Don Juan: "c'est une affaire entre le Ciel et
moi "
le personnage manifeste donc un certain malaise: il ne souhaite pas
discuter de religion avec son valet.
réplique de Sg.: prétendant se défendre de parler de
son maître, il développe son opinion sur le libertinage : Dom
Juan lui coupe brutalement la parole.
-
Sg.:
"Et n'y craignez-vous rien, Monsieur, de la mort de ce commandeur
que vous tuâtes il y a six mois? "
réponse de Dom Juan: il ne craint ni le mort ni sa famille.
-
D.J.
ramène la conversation sur son nouvel amour, racontant ses
projets à Sganarelle.
-
Sg.
annonce l'arrivée d'Elvire: il prend sa revanche.
Nous avons donc à nouveau affaire à une
scène d'exposition:
-
Nous
faisons connaissance avec Don Juan.
-
Le
caractère des personnages s'approfondit:
-
Sganarelle
se montre d'abord timoré et lâche, il prend ensuite peu à peu
de l'assurance ; même s'il se tait quand on lui ordonne de
le faire, il a sa revanche à la fin. Il a du mal à raisonner et
se laisse facilement démonter. Il se montre très conventionnel
du point de vue moral et religieux mais a bien du mal à défendre
ses opinions.
-
Don
Juan se révèle, de son propre aveu, un séducteur "à
toutes mains" qui conçoit l'amour comme une conquête et se
lasse ensuite. Du point de vue religieux, il refuse d'échanger
avec son valet qui l'accuse d'être un libertin mais ne le dément
pas. Quoi qu'il en soit, son attitude révèle un malaise.
-
Nous
apprenons que Dom Juan, sur la piste d'une nouvelle belle, se prépare
à partir en bateau la séduire.
4.
Conclusion pour les 2 scènes
Dans
son exposition, Molière se contente de nous montrer le personnage en
action, le seul discours moralisateur provient d'un personnage dont la crédibilité
apparaît peu fiable: Sganarelle est compromis à plus d'un titre:
-
C'est
un homme simple qui ne maîtrise pas la langue.
-
C'est
un valet superstitieux.
-
Il
est lâche et opportuniste: il critique son maître derrière lui,
l'approuve en face, change de point de vue selon les circonstances,
participe à ses mises en scène...
C'est
donc au spectateur de juger le héros sur ses actes et ses paroles, ce
qu'il fera dans la 2e scène. Toutefois, il apparaît clairement que la
personnalité de Dom Juan ne peut se résumer à cette caractéristique de
séducteur: il importera donc de continuer à regarder agir le personnage,
à l'écouter pour enfin le comprendre.
5. Molière, Le Tartuffe
Le héros n'apparaît qu'au 3e acte: c'est
assez unique dans le répertoire!
a)
l'acte I
Les élèves liront l'acte en entier ou,
mieux, le visionneront si possible.
Consignes:
1. élaborer, grâce aux indications relevées
au fil de l'acte, le portrait de Tartuffe. Deux portraits contradictoires
se dégagent,
2. observer l'attitude d'Orgon à son égard
Portrait |
Éléments
objectifs
Tartuffe
est d'une dévotion tapageuse.
Il
se dit gentilhomme provincial ruiné.
Orgon
l'a rencontré à l'église et rempli d'admiration, il l'a
recueilli chez lui.
|
Selon
Madame Pernelle et Orgon |
Selon
les autres |
|
|
Attitude
d'Orgon |
Il
fait passer tout le monde après Tartuffe, est prêt à tout lui
sacrifier.
Il considère comme libertins ceux qui osent critiquer son
comportement et la sincérité de Tartuffe.
Il
se prépare à briser les fiançailles de sa fille.
|
Molière
laisse donc le spectateur face à deux visions d'un même personnage: à
lui de juger: ce ne sera d'ailleurs possible qu'à l'acte III à
l'apparition du personnage qui alimente tellement les conversations que
chacun est impatient de se faire sa propre religion.
b)
Acte III, scènes 2 et 3
Consigne: après avoir vu le
personnage, à quel point de vue vous ralliez-vous? Justifiez votre réponse
grâce à une argumentation étayée par des exemples du texte.
Dans
la scène 2, Tartuffe se montre à la hauteur de sa réputation de dévot:
-
il
fait pénitence ("serrez ma haire avec ma discipline "),
-
il
est prude et vertueux ("cachez ce sein que je ne saurais voir
")
En
revanche, la scène 3 le montre dans sa vérité:
-
il
fait la cour à Elmire, la femme de son protecteur,
-
il
justifie ce comportement:
-
c'est
Dieu qui a fait Elmire aussi belle,
-
il
est un homme comme les autres, incapable de résister à la beauté,
-
il
est discret et n'attirera pas le scandale sur elle.
On
peut donc conclure qu'Orgon et Madame Pernelle se trompent et que le reste
de la famille a raison de considérer Tartuffe comme un hypocrite.
6.
Conclusion pour les 2 pièces
Dans
ces deux pièces, Molière a choisi de laisser le spectateur juge: à lui
d’évlauer le comportement des personnages; aucune vérité ne lui est
imposée de l'extérieur (du moins en apparence, mais chacun sait que le
personnage agit comme son auteur le veut!).
Cette
façon de procéder présente de l'intérêt pour le dramaturge:
a)
Il donne un rôle actif au spectateur à qui il revient de construire son
image de monde et des hommes. Ce faisant, il éveille également sa
curiosité et maintient l’intérêt.
b)
C'est typique de la pensée libertine du XVIIe siècle: aucune vérité
n'est imposée par l'auteur à son lecteur. Au contraire les faits lui
sont exposés et il reste libre de penser, d'avoir un comportement
critique.
7. Prolongement
A
partir de ces deux pièces, on pourra déboucher sur la pensée libertine
au XVIIe siècle. On se référera au citations suivantes pour amorcer le
travail:
a)
Tartuffe, acte I, scène 5 - réplique de Cléante
Voilà
de vos pareils le discours ordinaire.
Ils
veulent que chacun soit aveugle comme eux;
C'est
être libertin que d'avoir de bons yeux,
Et
qui n'adore pas de vaines simagrées
N'a
ni respect ni foi pour les choses sacrées.
b)
Dom Juan, acte I, scène 2 - réplique de Sganarelle
Osez-vous
bien ainsi vous jouer du Ciel, et ne tremblez-vous point de vous moquer
comme vous faites des choses les plus saintes? C'est bien à vous, petit
ver de terre (...) petit mirmidon que vous êtes (...), c'est bien à
vous à vouloir vous mêler de tourner en raillerie ce que tous les
hommes révèrent?
Manifestement,
ce que, selon Molière, on reproche aux libertins, c'est de ne pas
manifester les signes extérieurs de la foi ainsi que le font "tous
les hommes".
On
vérifiera cette vision et on recherchera les idées qui fondent la pensée
libertine en lisant des extraits de La Mothe Le Vayer, Gassendi et Cyrano
de Bergerac (peut-être le plus accessible pour des élèves).
©
F.Chatelain |