Présentation

Comment interpréter la figure de Don Juan ?

  • Le séducteur 

Pour Lacan, Don Juan est la figure du désir masculin tel qu'il est vu par les femmes.

Camus voit en lui l'homme frémissant et absurde car, séducteur ordinaire, il est conscient de ses actes. De plus, le fait de ne pas croire au sens profond des choses est le propre de l'homme absurde. Son éthique est celle de la quantité, à l'opposé du saint dont l'éthique est celle de la qualité.

Otto Rank voit, dans la situation de Don Juan vis-à-vis des maris, celle d'un supérieur qui veut l'emporter. Il se réfère au rite du "Dieu Totem" dans lequel féconder est donner son âme immortelle. D'un point de vue chrétien, c'est une volupté diabolique. Le mythe révèle donc le conflit entre la philosophie païenne d'une immortalité personnelle et la philosophie chrétienne qui recherche une immortalité spiritualisée.

Pour Rougemont, Don Juan s'oppose à Tristan. Homme des apparences et du crime, il est l'antithèse de l'amour courtois fait de respect.
La nature des deux héros est contradictoire: Don Juan se distingue par son instinct, son infidélité perpétuelle, sa recherche inassouvie de la femme unique et l'avidité de la jeunesse renouvelée par chaque rencontre, mais aussi sa faiblesse: c'est le démon de l'immanence, prisonnier des apparences. En revanche, Tristan est le martyr du ravissement.

  • Le rebelle racheté

Don Juan est surtout un offenseur qui lance des défis multiples : aux normes et à la loi (conquête des femmes, viol, usurpation d'identité, meurtre du Commandeur...), au père, au roi (dont le père est le symbole), à Dieu (comme Prométhée ou Caïn. Toutefois, contrairement aux héros de mythes fondateurs, Don Juan va vers son anéantissement). Par cette démarche, inverse de celle du saint, le personnage atteint une certaine pureté.

La rédemption est un possible du mythe qui en change la signification. En effet, la dissolution du crime permise par la femme aimée en fait un personnage positif.

Pour Rank, le couple Don Juan et son valet est indissociable, le valet représentant la conscience du héros mais aussi son désir d'intégration et de conformisme, tandis que Don Juan n'aspire qu'à l'émancipation. Il s'agit d'un dédoublement qui renvoie le principe mauvais dans le héros lui-même et en fait une personnification du diable. Il devient ainsi une figure surhumaine sans repentir ni expiation. 
Rank voit également en Don Juan une figure dégradée dont le double est la femme, symbolisant l'âme immortelle et la conscience. 

  • Don Juan face à la mort

La fin - en l'occurrence l'abîme - est l'achèvement logique; elle permet d'ailleurs des effets de mise en scène dont raffolent les esthétiques baroques et romantiques.

L'apparition du Commandeur  est orchestrée en 3 moments:

  • Don Juan découvre la statue au cimetière et l'invite,

  • la statue se rend à l'invitation,

  • Don Juan part avec elle pour un repas chez les morts (l'Enfer).

Il apparaît comme un instrument du Ciel - une sorte de Minos qui vient chercher sa proie - et il rejoint d'autres thèmes anciens de morts revenus d'entre les morts pour tuer les vivants. Dans les versions où Don Juan devient un personnage positif, le Commandeur est l'image de la censure qui punit la jouissance. Pour certains modernes, il n'est qu'une illusion, un déguisement de carnaval.

Quant à Don Juan, s'il est fasciné par la mort, c'est parce que c'est l'inconnu, la dernière aventure qui lui est offerte.

  • Don Juan et Casanova

Nombreux sont les parallèles, voire les identifications entre les deux séducteurs. C'est ce que fait notamment de Philippe Sollers (Le regard d'Orphée. Les mythes littéraires de l'Occident, Seuil). Michel Tournier distingue toutefois, dans Le Miroir des idées, les deux héros aux points de vue de leur origine sociale et géographique ainsi que de leurs moyens de séduction. Selon lui, on trouve développée chez Don Juan l'idée que la femme est une grande tentatrice, le sexe étant inséparable de la religion et que l'homme se damne en y succombant, tandis que Casanova aime les femmes qui l'attirent par "l'odore du femmina" (Don Giovanni) qui, parfum de l'Enfer, ferait fuir le Don Juan de Tirso de Molina. Il attribue cette trouvaille de l'opéra de Mozart à une hypothétique rencontre entre Casanova et Mozart le 26 janvier 1786 à Prague, alors que le compositeur travaillait sur son opéra (Sollers fait référence à la même rencontre). Tournier met d'ailleurs en scène cette entrevue dans Célébrations.