Molière et la comédie du XVIIe siècle    

à travers Le roman de Monsieur de Molière de M.Boulgakov

et quelques autres...

Introduction  

Prologue

Deux passionnés de théâtre

Le comédien ambulant

Le compère égyptien

Que le tonnerre écrase Molière!

Tu es terre

Ressources

Introduction 

Mikhaïl Boulgakov était médecin. Il naquit en 1894 et mourut en 1940. Il est l'auteur de romans, d'abord très tolstoïens comme La Garde blanche puis de plus en plus originaux comme son chef-d'oeuvre, Le Maître et Marguerite, publié après son décès. Il fit également la satire de la bureaucratie dans des contes et souffrit toute sa vie de la persécution du pouvoir soviétique. On doit, à ce passionné de théâtre, plusieurs pièces et deux romans centré sur le théâtre, dont Le Roman de Monsieur de Molière.

pour en savoir plus sur Boulgakov: 

http://lunch.free.fr/boulgakov.htm

http://perso.wanadoo.fr/moliere.med/bio/boulgakov.html 

 

Nous allons suivre le découpage de l'oeuvre pour découvrir Molière et le théâtre au XVIIe siècle. Chacun des liens conduit vers un site illustrant le point particulier envisagé; les extraits sans titre sont issus du roman de Boulgakov.

Prologue

Je parle avec l'accoucheuse

« Qu'est-ce qui m'empêche de dire la vérité en riant? »

Horace.

 « Molière fut un célèbre auteur de comédies françaises sous le règne de Louis XIV. »

Antioche Kantemir.

Une accoucheuse qui avait appris son art à la maternité de l'Hôtel-Dieu de Paris sous la direction de la fameuse Louise Bourgeois délivra le 13 janvier 1622 la très aimable madame Poquelin, née Cressé, d'un premier enfant, un prématuré de sexe masculin.

Je peux dire sans crainte de me tromper que si j'avais pu expliquer à l'honorable sage-femme qui était celui qu'elle mettait au monde, elle eût pu d'émotion causer quelque dommage au nourrisson, et du même coup à la France.(...)

Dans la Description des comédies que l'on trouve au département des Ambassades ce trente mai de l'année 1709, on remarque, parmi d'autres, les pièces suivantes : l'arlequinade Sur le Docteur battu (ou Le Docteur contraint), et La race d’Hercule, avec pour premier personnage Jupiter. Nous les reconnaissons. La première, c'est Le Médecin malgré lui, comédie de votre bébé. La seconde est Amphitryon, toujours de lui. Ce même Amphitryon qui sera joué à Paris en 1668 par le sieur de Molière et ses comédiens en présence de Piotr Ivanovitch Potemkine, envoyé du tsar Alexis Mikhaïlovitch.

Ainsi, vous le voyez, les Russes connaîtront l'homme que vous mettez au monde avant la fin de ce siècle. (p.9-11)

Chapitre 2: « Histoire de deux passionnés de théâtre » 

Ce chapitre nous montre Jean-Baptiste enfant, entraîné par son grand-père dans les lieux de spectacles, c’est pour nous l’occasion de découvrir le théâtre parisien dans la 1ère moitié du XVIIe siècle. Plusieurs troupes et plusieurs lieux accueillent les amateurs: salles couvertes (dont Richelieu a donné l'exemple) ou spectacles en plein air, il y en a pour tous les goûts et tous les milieux:

A l’Hôtel de Bourgogne 

Le fameux Gros-Guillaume, qui jouait dans les farces, éblouissait Jean-Baptiste par son béret rouge à fond plat et sa veste blanche qui contenait un ventre monstrueux. Une autre célébrité, le bouffon Gaultier-Garguille, vêtu d'une camisole noire aux manches rouges, armé d'énormes lunettes et un bâton à la main, déchaînait non moins que Gros-Guillaume l'enthousiasme du public de l'Hôtel. Jean-Baptiste était aussi fasciné par Turlupin, dont la verve inventive était intarissable, et par Alison, qui jouait les rôles de vieilles femmes ridicules. (...)

On peut dire que le petit-fils de Louis Cressé plongea dans divers bains! Le Bellerose de l'Hôtel de Bourgogne, paré comme un dindon, était sucré et tendre : il faisait rouler ses yeux, puis les dirigeait vers des lointains mystérieux, balançait son chapeau avec grâce et disait ses monologues d'une voix pleurnicharde, de sorte que l'on ne savait jamais s'il parlait ou s'il chantait. (p.26-27)

Bellerose, Gros-Guillaume, Turlupin…jouent des farces inspirées des Italiens ; des comédiens qui pratiquent la Commedia dell'arte, que Molière fréquentera et dont il s'inspirera fréquemment durant toute sa carrière. Pour ne citer qu'un exemple, pensons aux Fourberies de Scapin dont on peut trouver le texte en ligne. 
Edmond Rostand a reconstitué l'ambiance de l'Hôtel de Bourgogne au premier acte de Cyrano de Bergerac. L'adaptation cinématographique de J.-P.Rappeneau en donne une idée très précise.

Cet enfant qui accompagne son père, n’est-ce pas Molière lui-même avec son grand-père Cressé ?

LE BOURGEOIS, éloignant vivement son fils
Jour de Dieu !
- Et penser que c'est dans une salle pareille
Qu'on joua du Rotrou, mon fils !

LE JEUNE HOMME
Et du Corneille !

LE JEUNE HOMME, à son père
Que va-t-on nous jouer ?

LE BOURGEOIS
Clorise

LE JEUNE HOMME
De qui est-ce ?

LE BOURGEOIS
De monsieur Balthazar BARO. C'est une pièce !...
Il remonte au bras de son fils.

LE BOURGEOIS, redescendant, à son fils
Vous verrez des acteurs très illustres...

LE BOURGEOIS
Montfleury...

LE BOURGEOIS
... Bellerose, l'Epy, la Beaupré, Jodelet ! 

Rostand, Cyrano de Bergerac, acte I, scène 1

Au Marais, Mondory interprète les tragédies de Corneille:

Quand ils eurent vu tout ce que l'on pouvait voir à l'Hôtel de Bourgogne, les tapissiers dévorés par leur passion transportèrent leurs pénates dans un autre théâtre, le théâtre du Marais. Là régnait la tragédie, où se distinguait le célèbre acteur Mondory, et la grande comédie : les meilleures oeuvres du genre étaient fournies au théâtre par Pierre Corneille, le fameux dramaturge de l'époque. (...) au Marais, Mondory ébranlait la salle d'une voix de tonnerre et mourait en râlant dans la tragédie. (p.26-27)

Au Pont-Neuf et dans l’arrondissement des Halles, on trouve les bonimenteurs et le singe Fagotin dont La Fontaine a fait le personnage d’une fable, Le singe et le léopard et qu'il cite également dans La Cour du Lion.

Regardez les tréteaux qui se montent, les estrades que l'on entoure de tentures. Et là, qui est-ce qui piaille comme un mirliton? C'est le crieur du spectacle. N'hésitez plus, Messeigneurs, le spectacle va commencer! Ne ratez pas cette occasion unique! C'est ici, et ici seulement que vous verrez les fameuses marionnettes de monsieur Brioché! Venez les voir danser suspendues à leurs fils! Venez voir Fagotin, l'extraordinaire singe savant!

Les baraques du Pont-Neuf accueillaient des médecins ambulants, des arracheurs de dents, des charlatans apothicaires qui vendaient aux gens des panacées qui guérissaient de tous les maux. Pour attirer l'attention sur leurs boutiques, ils s'abouchaient avec des saltimbanques de rue, parfois avec de véritables acteurs qui avaient déjà pris pied sur les planches des théâtres et l'on assistait à de véritables représentations à la gloire des médications miraculeuses.

Il y avait aussi des processions solennelles où paradaient à cheval, grimés, parés, surchargés de clinquants bijoux de location, des comédiens qui clamaient des slogans et appelaient les gens à les rejoindre. Derrière eux venaient des bandes de gamins qui criaient, sifflaient, plongeaient dans les jambes et ajoutaient à la confusion. (p.28-29)

Chapitre 8 :   « Le comédien ambulant »

La Foire paysanne, par Pieter Balten, v. 1525-v. 1598 (Musée du théâtre d'Amsterdam).

La troupe de Molière a sillonné les routes de France comme beaucoup d’autres avant et après lui ; en général, on montait une estrade, la roulotte de la troupe servait de coulisses ; parfois, les comédiens pouvaient aussi jouer dans une ferme, une grange  ou, plus rarement, être invités dans un château ; on lira des extraits des chapitres 5 et 7 du Capitaine Fracasse de Théophile Gautier:

A la ferme, les comédiens, aidés par Bellombre et ses valets, avaient déjà travaillé. Dans le fond de la grange, des planches posées sur des tonneaux formaient le théâtre. Trois ou quatre bancs empruntés au cabaret remplissaient l'office de banquettes; mais, pour le prix, on ne pouvait exiger qu'elles fussent rembourrées et couvertes de velours. Les araignées filandières s'étaient chargées de décorer le plafond, et les larges rosaces de leurs toiles se suspendaient d'une poutre à l'autre.

Quel tapissier, fût-il de la cour, eût pu produire une tenture plus fine, plus délicate et aériennement élaborée. même en satin de Chine? Ces toiles pendantes ressemblaient à ces bannières armoriées qu'on voit aux chapitres des chevaleries et ordres royaux. Spectacle fort noble pour qui eût pu jouir, en imaginative, de ce rapprochement.

Les boeufs et vaches, dont on avait proprement relevé la litière, s'étonnaient de ce remue-ménage insolite et souvent détournaient la tête de leur crèche, jetant de longs regards vers le théâtre où les comédiens s'agitaient, répétant la pièce, afin de montrer à Sigognac les entrées et les sorties. (…)

Déjà le populaire affluait et s'entassait dans la grange. Quelques lanternes suspendues aux poutrelles soutenant le toit jetaient une lumière rougeâtre sur toutes ces têtes brunes, blondes, grisonnantes, parmi lesquelles se détachaient quelques blanches coiffes de femme.

D'autres lanternes avaient été placées en guise de chandelles sur le bord du théâtre, car il fallait prendre garde de mettre le feu à la paille et au foin.

La pièce commença et fut attentivement écoutée. Derrière les acteurs, car le fond de la scène n'était pas éclairé, se projetaient de grandes ombres bizarres qui semblaient jouer la pièce en parodie, et contrefaire tous leurs mouvements avec des allures disloquées et fantasques ; mais ce détail grotesque ne fut pas remarqué par ces spectateurs naïfs, tout occupés de l'affabulation de la comédie et du jeu des personnages, lesquels ils tenaient pour véritables.

Quelques vaches, que le tumulte empêchait de dormir, regardaient la scène avec ces grands yeux dont Homérus, le poète grégeois, fait une épithète louangeuse à la beauté de Junon, et même, un veau, dans un moment plein d'intérêt, poussa un gémissement lamentable qui ne détruisit pas la robuste illusion de ces braves patauds, mais qui faillit faire éclater de rire les comédiens sur leurs planches. (Le Capitaine Fracasse, chap.7)

La difficulté des comédiens à se produire dans les villages est bien évoquée (quoiqu’antérieurement et en Angleterre dans le roman de B.Unsworth, Une affaire de moralité)

Aujourd’hui, une troupe belge « Les Baladins du Miroir » pratique encore le théâtre ambulant : des roulottes, un chapiteau et que le spectacle commence !

Chapitre 20: « Le compère égyptien »

Plusieurs aspects de la carrière de Molière sont abordés dans ce chapitre : sa rencontre avec Lulli et la réalisation de « comédies-ballets » pour les fêtes du roi ainsi que les problèmes liés à la création du Tartuffe.

On y découvrira les relations entre le pouvoir et les artistes (voir Les Miroirs du soleil, Gallimard, Découvertes).

Le film Le roi danse de Gérard Corbiau évoque ces rapports difficiles. On peut lire son scénario paru dans la collection Folio. Les Placets adressés au roi par Molière pour obtenir l’autorisation de jouer Tartuffe et le dernier acte, en particulier l’hommage au roi à la dernière scène de celui-ci, ne manquent pas d'intérêt pour celui que préoccupe le rapport de la littérature à l'histoire.

Premier placet présenté au roi sur la comédie du Tartuffe (1664)

  SIRE,

  Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j'ai cru que, dans l'emploi où je me trouve, je n'avais rien de mieux à faire que d'attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle ; et, comme l'hypocrisie, sans doute, en est un des plus en usage, des plus incommodes et des plus dangereux, j'avais eu, SIRE, la pensée que je ne rendrais pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume, si je faisais une comédie qui décriât les hypocrites, et mit en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries ries couvertes de ces faux-monnayeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistique.

 Je l'ai faite, SIRE, cette comédie, avec tout le soin, comme je crois, et toutes les circonspections que pouvait demander la délicatesse de la matière ; et, pour mieux conserver J'estime et le respect qu'on doit aux vrais dévots, j'en ai distingué le plus que j'ai pu le caractère que j'avais à toucher. Je n'ai point laissé d'équivoque, j'ai ôté ce qui pouvait confondre le bien avec le mal, et ne me suis servi dans cette peinture que des couleurs expresses et des traits essentiels qui font reconnaître d'abord un véritable et franc hypocrite.

 Cependant toutes mes précautions ont été inutiles. On a profité, SIRE, de la délicatesse de votre âme sur les matières de religion, et l'on a su vous prendre par l'endroit seul que vous êtes prenable, je veux dire par le respect des choses saintes. Les tartuffes, sous main, ont eu l'adresse de trouver grâce auprès de VOTRE MAJESTÉ ; et les originaux enfin ont fait supprimer la copie, quelque innocente qu'elle fût, et quelque ressemblante qu'on la trouvât.

Second Placet présenté au roi le 8 août 1667

Sire,

  C'est une chose bien téméraire à moi que de venir importuner un grand monarque au milieu de ses glorieuses conquêtes : mais, dans l'état où je me vois, où trouver, Sire, une protection qu'au lieu où je la viens chercher? et qui puis-je solliciter contre l'autorité de la puissance qui m'accable, que la source de la puissance et de l'autorité, que le juste dispensateur des ordres absolus, que le souverain juge et le maître de toutes choses?

 Ma comédie, Sire, n'a pu jouir ici des bontés de Votre Majesté. En vain je l'ai produite sous le titre de l'Imposteur, et déguisé le personnage sous l'ajustement d'un homme du monde; j'ai eu beau lui donner un petit chapeau, de grands cheveux, un grand collet, une épée, et des dentelles sur tout l'habit, mettre en plusieurs endroits des adoucissements, et retrancher avec soin tout ce que j'ai jugé capable de fournir l'ombre d'un prétexte aux célèbres originaux du portrait que je voulais faire : tout cela n'a de rien servi. La cabale s'est réveillée aux simples conjectures qu'ils ont pu avoir de la chose. Ils ont trouvé moyen de surprendre des esprits qui, dans toute autre matière, font une haute profession de ne se point laisser surprendre. Ma comédie n'a pas plutôt paru qu'elle s'est vue foudroyée par le coup d'un pouvoir qui doit imposer du respect; et tout ce que j'ai pu faire en cette rencontre pour me sauver moi-même de l'éclat de cette tempête, c'est de dire que Votre Majesté avait eu la bonté de m'en permettre la représentation, et que je n'avais pas cru qu'il fût besoin de demander cette permission à d'autres, puisqu'il n'y avait qu'elle seule qui me l'eût défendue. Je ne doute point, Sire, que les gens que je peins dans ma comédie ne remuent bien des ressorts auprès de Votre Majesté, et ne jettent dans leur parti, comme ils l'ont déjà fait, de véritables gens de bien, qui sont d'autant plus prompts à se laisser tromper qu'ils jugent d'autrui par eux-mêmes. Ils ont l'art de donner de belles couleurs à toutes leurs intentions. Quelque mine qu'ils fassent, ce n'est point du tout l'intérêt de Dieu qui les peut émouvoir : ils l'ont assez montré dans les comédies qu'ils ont souffert qu'on ait jouées tant de fois en public, sans en dire le moindre mot. Celles-là n'attaquaient que la piété et la religion, dont ils se soucient fort peu; mais celle-ci les attaque et les joue eux-mêmes; et c'est ce qu'ils ne peuvent souffrir. Ils ne sauraient me pardonner de dévoiler leurs impostures aux yeux de tout le monde; et, sans doute, on ne manquera pas de dire à Votre Majesté que chacun s'est scandalisé de ma comédie. Mais la vérité pure, Sire, c'est que tout Paris ne s'est scandalisé que de la défense qu'on en a faite, que les plus scrupuleux en ont trouvé la représentation profitable, et qu'on s'est étonné que des personnes d'une probité si connue aient eu une si grande déférence pour des gens qui devraient être l'horreur de tout le monde et sont si opposés à la véritable piété, dont elles font profession.

 J'attends avec respect l'arrêt que Votre Majesté daignera prononcer sur cette matière; mais il est très assuré, Sire, qu'il ne faut plus que je songe à faire des comédies, si les tartuffes ont l'avantage; qu'ils prendront droit par là de me persécuter plus que jamais, et voudront trouver à redire aux choses les plus innocentes qui pourront sortir de ma plume.

 Daignent vos bontés, Sire, me donner une protection contre leur rage envenimée; et puissé-je, au retour d'une campagne si glorieuse, délasser Votre Majesté des fatigues de ses conquêtes, lui donner d'innocents plaisirs après de si nobles travaux, et faire rire le monarque qui fait trembler toute l'Europe.

Est également éclairante la lecture des hypothèses sur le rôle joué par le roi dans les créations de Molière, émises par Philippe Beaussant dans Le Roi-Soleil se lève aussi (Gallimard, 2001).

Chapitre 21: « Que le tonnerre écrase Molière »

Boulgakov évoque ici la genèse de Dom Juan et la rupture avec Racine à l’occasion de la représentation d’Alexandre. Ce sera l’occasion de relire des extraits du Dom Juan mais aussi d'une pièce de Racine que la troupe de Molière a jouée: La Thébaïde.  

Dom Juan, ACTE III, Scène II

Dom Juan, Sganarelle, un pauvre.

Sganarelle: Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville.
Le Pauvre
: Vous n'avez qu'à suivre cette route, Messieurs, et détourner à main droite quand vous serez au bout de la forêt; mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que, depuis quelque temps, il y a des voleurs ici autour.
Dom Juan
: Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon cœur.
Le Pauvre: Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône?
Dom Juan
: Ah! ah! ton avis est intéressé, à ce que je vois.
Le Pauvre
: Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois depuis dix ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu'il vous donne toute sorte de biens.
Dom Juan
: Eh! prie-le qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres.
Sganarelle: Vous ne connaissez pas Monsieur, bon homme: il ne croit qu'en deux et deux sont quatre, et en quatre et quatre sont huit.
Dom Juan
: Quelle est ton occupation parmi ces arbres?
Le Pauvre
: De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent quelque chose.
Dom Juan
: Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise?
Le Pauvre
: Hélas! Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde.
Dom Juan
: Tu te moques: un homme qui prie le Ciel tout le jour, ne peut pas manquer d'être bien dans ses affaires.
Le Pauvre: Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n'ai pas un morceau de pain à mettre sous les dents.
Dom Juan
: Je te veux donner un louis d'or, et je te le donne pour l'amour de l'humanité. Mais que vois-je là? Un homme attaqué par trois autres? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté.

Chapitre 33: « Tu es terre »

La maison tout entière était plongée dans une douloureuse perplexité, qui s'était même communiquée aux nonnes mendiantes : après s'être recueillies quelques instants sur la dépouille mortelle de Molière que l'on avait lavé et couvert, elles ne savaient absolument plus que faire. Car la terre ne voulait pas accueillir le corps de monsieur Molière.

La veille, Jean Aubry avait vainement supplié les prêtres de la paroisse Saint-Eustache, Lenfant et Lechat, de venir assister le mourant. Les deux avaient refusé tout net. Un troisième, nommé Paysant, avait eu pitié du désespoir d'Aubry et était venu dans la maison du comédien. Mais arrivé trop tard, alors que Molière était déjà mort, il était reparti à la hâte.

Quant à donner à Molière une sépulture chrétienne, il n'en était pas question. Le comédien pécheur était mort sans se repentir, sans avoir abjuré sa profession condamnée par l'Église, et sans avoir fourni la promesse écrite de ne plus jamais jouer la comédie au cas où, dans son infinie bonté, le Seigneur lui aurait rendu la santé. 

Il n'avait pas signé cette promesse, et pas un prêtre à Paris ne voudrait accompagner au cimetière monsieur de Molière, et d'ailleurs aucun cimetière ne l'aurait recueilli. (p.277-278)

Même si finalement, l'intervention du roi permettra à Armande d'enterrer Molière religieusement, la mort de Molière pose le problème de la condition des comédiens, excommuniés par l’Église. On relira le récit de l'enterrement de Matamore dans Le Capitaine Fracasse (chap. 6) de Gautier:

On prit le corps du comédien défunt, qui fut étendu sur la table et respectueusement recouvert d'un manteau. Sous l'étoffe se sculptait à grands plis la rigidité cadavérique et se découpait le profil aigu de la face, peut-être plus effrayante ainsi que dévoilée. Aussi, lorsque l'hôtelière rentra, faillit-elle tomber à la renverse de frayeur à l'aspect de ce mort qu'elle prit pour un homme assassiné dont les comédiens étaient les meurtriers. Déjà, tendant ses vieilles mains tremblotantes, elle suppliait le Tyran, qu'elle jugeait le chef de la troupe, de ne point la faire mourir, lui promettant un secret absolu, même fût-elle mise à la question. Isabelle la rassura, et lui apprit en peu de mots ce qui était arrivé. Alors la vieille alla chercher deux autres chandelles et les disposa symétriquement autour du mort, s'offrant de veiller avec dame Léonarde, car souvent dans le village elle avait enseveli des cadavres, et savait ce qu'il y avait à faire en ces tristes offices.

Ces arrangements pris, les comédiens se retirèrent dans une autre pièce, où, médiocrement mis en appétit par ces lugubres scènes, et touchés de la perte de ce brave Matamore, ils ne soupèrent que du bout des lèvres. Pour la première fois peut-être de sa vie, quoique le vin fût bon, Blazius laissa son verre demi-plein, oubliant de boire. Certes, il fallait qu'il fût bien navré dans l'âme, car il était de ces biberons qui souhaitaient d'être enterrés sous le baril, afin que la cannelle leur dégoutte dans la bouche, et il se fût relevé du cercueil pour crier « masse » à un rouge-bord.

Isabelle et Sérafine s'arrangèrent d'un grabat dans la chambre voisine. Les hommes s'étendirent sur des bottes de paille que le garçon d'écurie leur apporta. Tous dormirent mal, d'un sommeil entrecoupé de rêves pénibles, et furent sur pied de bonne heure, car il s'agissait de procéder à la sépulture de Matamore. Faute de drap, Léonarde et l'hôtesse l'avaient enseveli dans un lambeau de vieille décoration représentant une forêt, linceul digne d'un comédien, comme un manteau de guerre d'un capitaine. Quelques restes de peinture verte simulaient, sur la trame usée, des guirlandes et feuillages, et faisaient l'effet d'une jonchée d'herbes semée pour honorer le corps, cousu et paqueté en la forme de momie égyptienne.

Une planche posée sur deux bâtons, dont le Tyran, Blazius, Scapin et Léandre tenaient les bouts, forma la civière. Une grande simarre de velours noir constellée d'étoiles et demi-lunes de paillon, servant pour les rôles de pontife ou de nécroman, fit l'office de drap mortuaire avec assez de décence.

Ainsi disposé, le cortège sortit par une porte de derrière donnant sur la campagne pour éviter les regards et commérages des curieux, et pour gagner un terrain vague que l'hôtesse avait désigné comme pouvant servir de sépulture au Matamore sans que personne s'y opposât, la coutume étant de jeter là les bêtes mortes de maladie, lieu bien indigne et malpropre à recevoir une dépouille humaine, argile modelée à la ressemblance de Dieu; mais les canons de l'Église sont formels, et l'histrion excommunié ne peut gésir en terre sainte, à moins qu'il n'ait renoncé au théâtre, à ses oeuvres et à ses pompes, ce qui n'était pas le cas de Matamore. (Le Capitaine Fracasse, chap.6)

En 1680, soit 7 ans après la mort de Molière, Louis XIV donne ordre aux troupes rivales de fusionner, cela mènera à la création de la Comédie-française.

Ressources

Pour en savoir plus sur Molière:consulter le site qui lui est consacré et reprend les textes intégraux de ses pièces: http://www.site-moliere.com/index.html

On ne manquera pas non plus de voir ou revoir le film d'Ariane Mnouchkine, Molière.

Pour voir des costumes portés par les créateurs de ses comédies: http://www.ddec.nc/Lycees/Blaise/theatre/costumes_france.htm

Pour lire des textes et citations sur Molière: http://www.citationsdumonde.com/accueil.asp (Ph. Geluck, G. Flaubert, P.Desproges)  http://www.comedie-francaise.fr/repertoire/moliere/scapin/citations.htm (Boileau, Fenelon, le Mercure de France, Voltaire, G.Sand) http://poesie.webnet.fr/poemes/France/musset/34.html (Musset, Une soirée perdue)

Le théâtre au XVIIe siècle en Angleterre est représenté par Shakespeare, Ben Johnson ou Marlowe, on verra, dans le film Shakespeare in love, des répétitions au théâtre du Globe.
En Espagne,
en Espagne, On retiendra Calderon de la Barca, par exemple.