Gustave Wappers (1803-1874), 

Episode des journées de septembre 1830

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Partie intégrante de la France pendant la révolution et l'Empire, la Belgique est donnée au royaume des Pays-Bas au Congrès de Vienne. Cette situation rencontre l'opposition de la population et ce, pour des motifs divers, notamment religieux et linguistique (pour la partie francophone en ce qui concerne cette dernière raison).

Le 25 août 1830, la représentation de l'opéra La Muette de Portici d'Auber au théâtre de la Monnaie provoque des manifestations anti-hollandaises. C'est en particulier l'air "Amour sacré de la patrie" qui met le feu aux poudres. Les incidents se mulitiplient à Liège et Bruxelles, les jours suivants sans que les troupes hollandaises puissent réellement résister. Le 23 septembre, des troupes conduites par le  deuxième fils du roi de Hollande, Guillaume Ier, entrent dans Bruxelles. Elles se retirent toutefois dans la nuit du 26 au 27.

Le 4 octobre un gouvernement provisoire proclame l'indépendance de la Belgique et décide la création d'une assemblée constituante. Celle-ci rédigera la Constitution de 1831 et optera pour une monarchie parlementaire. La même année, la Conférence de Londres reconnaît l'indépendance et la neutralité de la Belgique. Le Congrès national élira comme roi le fils de Louis-Philippe mais, devant l'opposition des puissances européennes, la couronne sera proposée à Léopold de Saxe-Cobourg Gotha, veuf de la princesse de Galles et oncle de l'héritière du trône d'Angleterre, la princesse Victoria. Il prêtera serment le 21 juillet et épousera la princesse Louise-Marie d'Orléans, plaçant le pays sous la protection de deux des plus grandes puissances de l'époque.

Camille Lemonnier

L'Épisode des quatre journées de 1830 couronna les succès la jeune école et fut un triomphe pour Wappers. On l'avait appelé le régénérateur de l'art; l'exaltation patriotique grandissant encore l'enthousiasme qu'on éprouvait pour l'artiste, il devint l'émule des plus grands maîtres.

L'Épisode fut promené solennellement par les grandes villes; il fit son tour d'Europe et sa célébrité à l'étranger s'ajouta à sa renommée à l'intérieur. Il y eut même un moment où, grâce à ces démonstrations éclatantes, les nations voisines s'occupèrent de l'école belge. Tous ces publics différents furent unanimes à admirer la puissance de la conception et la chaleur du coloris. Il sortait de cet élan d'un peuple courant aux barricades une commotion qui s'étendait à la peinture; peut-être ce fut là, vraiment, l'un des plus authentiques tableaux d'histoire du siècle. Il fut le dernier mot de cet art qui avait fait ses barricades avec celles de la rue et consacra le titre de «peintre révolutionnaire» conquis dès 1830 par l'auteur du Dévouement de Van der Werff.

Le peintre avait dressé à la droite une barricade sur laquelle des hommes debout, les vêtements en désordre, font des gestes résolus. L'un d'eux harangue les insurgés et, la tête en arrière, appuie fièrement le doigt sur le placard qu'il commente. Près de là, un vieillard porte à ses lèvres un coin du drapeau brabançon. Un homme du peuple, dans l'angle, s'est coiffé du casque, et, sabre au côté, fait une enjambée pour rejoindre le flot qui vient à gauche. Celui-ci s'avance sur le spectateur d'une poussée furieuse. Gare! C'est une nation qui passe! Où va-t-elle? A l'appel de la patrie, à la gloire, à la mort! Un jeune gamin, jambes nues, bat le tambour, et ce roulement héroïque fait passer un frisson sur les visages. C'est la Marseillaise d'un jeune peuple nouveau.

La vie coulait là à pleins bords. Un souffle palpitait sous les blouses; les prunelles étincelaient ; on allait comme dans un tourbillon; les fusils étaient chargés de poudre et les cœurs d'héroïsme.

Cependant une évitable dose de sentimentalisme traînait encore dans certaines parties du tableau, comme un tribut payé au romanesque du romantisme. On n'osait encore exprimer simplement le pathétique: les héros avaient toujours sous les pieds le frémissement d'un tréteau et sur le front la réverbération des feux d'une rampe. Des groupes entiers de l'Épisode sont du patriotisme ronflant, orchestré pour toucher les fibres, par un sentiment mal compris de l'émotion dans l'art: ce vieillard baisant les plis d'un drapeau, cette pâle fille à demi pâmée, ce blessé serrant son épée contre ses plaies semblent traverser un dénouement de mélodrame.

Le procédé encourait une critique plus grave: la matière était mince, lisse et vitrifiée. Les surfaces avaient le poli luisant de la porcelaine et des cristaux; la chair, les étoffes et les fonds s'uniformisaient d'un air délicat d'enluminure c'était le triomphe de ces colorations fragiles qui commen­cent au Hollandais Netscher et aboutissent à l'Anversois Dyckmans.

Elles ont pour effet, dans l'Épisode, de diminuer le rythme profond de la composition; au lieu d'être le fil conducteur du sentiment, elles sont en désaccord avec l'impétuosité du sujet et nuisent à son expression. On sent bien que le temps des peintres absolus n'est pas encore venu; quand ils apparaîtront, l'héroïsme aura cessé, comme si toute chose se compensait.

Dans un morceau de musique, l'accompagnement souli­gne la mélodie et il en est le commentaire; ainsi la couleur intensifie et met en plus vive lumière le sens foncier de l'œuvre. Elle dit l'atmosphère morale de la scène, formule son état émotif, établit le degré de sa température: elle est quelque chose comme le baromètre de l'action. Wappers, si puissant dans la synthèse, en tant que composition, n'était point parvenu à la compléter par un mode de peinture en rapport avec la psychie des personnages.

L'école belge de peinture 1830-1905