Xavier Mellery (1845-1921)

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Camille Lemonnier

Une certaine gravité mélancolique est inséparable de son œuvre ; on sent qu'il attache un sens sérieux à la vie. Ses hommes ont le sentiment du devoir; ses jeunes femmes inclinent au silence des âmes repliées sur elles-mêmes. Avec de pareilles prédispositions, on s'attendrait à des formes émaciées et pénibles. Au contraire, le peintre a le goût de la belle santé; la déchéance physique du corps n'est pas chez lui la conséquence nécessaire de l'humilité de la condition. Ses ouvriers, ses paysans, ses filles de ferme dénoncent le robuste tempérament sanguin des Flandres; jusqu'en ses béguines, on sent couler une sève riche et il aime modeler la nudité enfantine dans une chair potelée et rubénienne. C'est qu'il se rattache lui-même à cette vieille race flamande, saine, grave et plastique. Même les figures allégoriques auxquelles l'incita un esprit resté sensible au rythme sévère et noble des maîtres de la Renaissance, gardent chez lui un caractère de réalité sanguine et robuste. La force et la grâce sont leurs signes essentiels dans les attitudes à la fois souples et solides qu'il aime éployer sur des fonds d'or. Rappelez-vous ce merveilleux poème des Heures, du Musée de Bruxelles : elles forment le cercle et tournent autour du Temps, d'un rythme grave et dansant. Il semble, à voir ces belles filles aux bras nus et aux lombes puissants, qu'on assiste à une ronde de moissonneuses après l'accomplissement des rites sacrés.

On lui a reproché l'aspect gris de sa peinture. La lumière, en effet, n'y ruisselle presque jamais; il l'entrevoit à travers des sourdines et l'égoutte en clartés apâlies silencieuses, comme ses personnages. La mobilité des choses soumises à de brusques variations comme l'eau, le ciel, les heures du paysage, ne correspond pas à son talent attentif, appliqué et lent. Il est l'homme des impressions patiemment dégagées, d'un certain mystère de la vie graduellement élucidé, des mouvements dont il est permis de suivre trait par trait les passages successifs. Quelque chose de la placidité des portraits de Holbein, de Pourbus, de Cranach, semble régner en ses personnages, d'une apparence parfois archaïque en leur calme concentré.

Une impression surnage dans l'ensemble de sa production: le silence. Il affectionne les banlieues, les béguinages, les oratoires, les chambres closes, les coins d'ombre et de solitude où la vie agonise. Le bruit, la turbulence du geste, la passion expirent dans le calme assoupi de son oeuvre, comme au seuil d'un lieu d'apaisement. Vous ne trouverez point chez lui d'attitudes violentes, mais des mouvements rythmés. Un peu de songe s'attache à tout ce qui sort de sa main et trahit les habitudes contemplatives de son esprit. Cet artiste d'une physionomie si à part, vit dans un atelier perdu aux extrémités de la ville, loin du monde, avec la gravité pensive d'un homme à qui l'art suffit et qui s'écoute vivre intérieurement.

L'école belge de peinture 1830-1905