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La Bibliothèque de Villers de Benoît Peeters : observations …

Ces textes ont été publiés en 1980 chez Laffont et le premier a été réédité en 1990 aux Impressions nouvelles.

Le narrateur de La Bibliothèque de Villers arrive dans cette ville pour y faire une recherche sur des crimes ayant eu lieu des années auparavant. Dès l’abord, la ville lui apparaît comme énigmatique, ses habitants peu amènes. Il rencontre le conservateur de la bibliothèque et se met au travail ; mais, bien vite, de nouveaux crimes ont lieu qui ne sont pas sans rappeler ceux du passé et insensiblement, le narrateur s’y trouve mêlé à son corps défendant.

Tombeau d’Agatha Christie est un hommage à la célèbre romancière sous le patronage de laquelle se place l’auteur et son récit. Lire ce très court essai ne donne pas les clés du mystère mais trace des pistes …

Coup d’essai, coup de maître. Depuis plus de 20 ans qu’a été publié ce court récit policier sans solution, La Bibliothèque de Villers continue à fasciner ses lecteurs. Difficile de trouver la clé du mystère même si l’auteur nous dit qu’elle est présente au cœur même de l’histoire. Le récit est mené avec rigueur et il faut être attentif à tous les indices ; j’avoue ne pas avoir trouvé la solution mais je vous propose quand même quelques réflexions qui vous aideront peut-être à y parvenir.

Pour trouver quelques pistes, il convient de lire à la fois Tombeau d’Agatha Christie et la lecture de Jan Baestens, un spécialiste de Peeters, qui, comme de coutume dans cette collection, suit le texte. On y découvre combien Peeters a été marqué par Georges Perec et le Nouveau Roman. On se rend aussi compte que le spécialiste d’Hergé et scénariste de la série de BD Les Cités obscures qu’est Peeters, connaît et maîtrise les « maîtres » de la fiction que sont non seulement A.Christie mais aussi, par exemple, Jorge Borges.

Au lecteur maintenant de se prendre au jeu et de tenter de démêler à son tour les fils de l’intrigue.

Les numéros de pages renvoient à l’édition de la collection Espace Nord, 2004

 Dans Tombeau d’Agatha Christie qui sert de postface à La Bibliothèque de Villers à la fois dans la première édition de 1980 et dans la réédition de la collection Espace Nord chez Labor, l’auteur écrit :

L’importance d’un événement est avant tout fonction du nombre de lignes qu’il occupe. C’est une des forces d’Agatha Christie de l’avoir pressenti. Le référent de l’enquête n’est jamais chez elle le réel dans son irréductible profusion mais bien le texte, c’est-à-dire l’ensemble des événements relatés. Un « présage » ne peut donc y être autre chose qu’une prédiction. Cela seul est à même de fonder la lecture comme autre chose qu’une suite de devinettes plus ou moins heureuses. Enquêter, dans les romans d’Agatha Christie, ce n’est pas se mouvoir dans les méandres d’un concret fantasmé, c’est repérer, dans le corps du texte, les signes qui y ont été disposés. Bref, osons le dire, enquêter, c’est apprendre à lire. Le coup de génie du roman policier à énigme est de faire fonctionner l’identification du lecteur à l’enquêteur, comme un adjuvant de la lecture. Ici, chose rare, l’identification, loin d’éloigner du texte le lecteur, l’en rapproche. (p.93)

Peut-on considérer que cette remarque s’applique à La Bibliothèque de Villers, voire que la Bibliothèque de Villers est une illustration de cette réflexion, une sorte d’exercice pratique ? Il semblerait si on suit la lecture critique de Jan Baetens qui conseille au lecteur de lire et relire le texte pour y découvrir à chaque fois des implications différentes.

Si l’on, ajoute que, selon le commentateur, « Dans La Bibliothèque de Villers, « tout » signifie, « tout » fonctionne, « tout obéit » à plusieurs contraintes de forme et de signification »(p.112-113), comme il convient dans l’œuvre d’un adepte de Perec, il ne nous reste qu’à tenter d’en percer les mystères, en se souvenant que « le nom du coupable se trouve visible partout, disséminé à travers les lettres du texte, entr’aperçu dans les motifs et thèmes de l’œuvre » (p.114)

Les spécialistes disent tous avoir trouvé la solution mais se refusent à priver le lecteur du plaisir de la trouver. Personnellement, j’avoue ne pas avoir pu discerner avec une certitude absolue la clé. J’ai quelques idées mais je ne peux rien affirmer. D’ailleurs, y a-t-il une et une seule solution ? Seul l’auteur pourrait nous le dire et il ne le fera pas…

Je vous livre toutefois quelques observations qui me sont peut-être de nature à nous éclairer, peut-être pas.

L’opposition est permanente entre le noir (les houillères, la nuit, le jardin …) et le blanc (la neige, la bibliothèque, les vêtements d’Imbert, …) ; certains éléments opposant les deux (portrait de Lessing) Voici, à titre d’exemple, le menu servi par Lessing à son hôte :

C’est une crème d’asperges qu’avec un grand raffinement de présentation il apporte tout d’abord. Elle est suivie par une raie au beurre noir et un plat de riz. Tout pour lui semble être l’occasion d’agencements minutieux : les câpres par exemple ont été disposées à intervalles réguliers autour du poisson. Une bouteille de Riesling accompagne ce repas que terminent des œufs en neige et de délicieux chocolats. (p.19)

Toutes ces oppositions renvoient au jeu d’échecs et à la partie initiale pour laquelle le narrateur reçoit les blancs et Lessing les noirs. On les retrouve également dans le vocabulaire : « carte blanche », le commissaire Weiss avoue « être dans le noir »...

Les étoiles occupent une place importante dans le texte : les deux Stelle que boit le narrateur, le cinéma Stars, les étoiles dessinées sur le dos de la victime, la boîte de nuit.

De nombreux personnages – en particulier les victimes – ont la même initiale à leurs nom et prénom (René Roussel, Ivan Imbert…) tandis que, pour certains, leur patronyme est clairement l’anagramme de Villers : Edith Ervil, Rivelle. Il faut y ajouter la pension Elvire.

Enfin labyrinthe et géométrie sont des motifs non négligeables.

Selon moi, Villers est la clé mais quelle serrure ouvre-t-elle ?

Sur le Web

  • Urbicande, le site consacré à la série de BD dessinée par François Schuiten sur des scénarios de B.Peeters, Les Cités obscures

  • la société de production audiovisuelle Les Piérides, créée par B.Peeters et S.Willems