La Belgique culturelle du tournant du siècle à l’entre-deux-guerres : bref panorama introductif

Cet article a été écrit pour le catalogue de l'exposition Magritte à Châtelet, organisée par l'Administration communale de Châtelet, avec l'appui de la société historique, Le Vieux Châtelet, à l'occasion du centenaire de la naissance du peintre. Il s'agit d'un bref panoramique sans prétention exhaustive.

Le Tournant du siècle

Futurisme

Dada

Surréalisme

Ressources

Il ne s’agit évidemment pas ici de brosser un tableau exhaustif de la vie culturelle en Belgique mais tout simplement de tracer quelques pistes qui peuvent mieux situer dans quel climat littéraire et artistique s’est déroulée la jeunesse de René Magritte. Il est évidemment très difficile de savoir, en dehors des témoignages de l’intéressé lui-même, quelle connaissance il a pu avoir de ces événements, toutefois il nous a paru intéressant d’esquisser ce panorama qui permettra de mieux appréhender a posteriori le développement de l’artiste. Dans la mesure où nous nous limitons aux années d’apprentissage du jeune peintre, nous nous sommes arrêtés aux débuts du surréalisme.

Le Tournant du Siècle

Dans le domaine des arts plastiques, la jeune nation belge voit s’exprimer des personnalités originales importantes dès l’indépendance, pour ne citer qu’eux, Wiertz peint La belle Rosine en 1834 et Félicien Rops, Les Sataniques en 1874.

En revanche, il faudra attendre les années 1880 et la naissance d’une revue qui fera bien des émules : La Jeune Belgique, pour que le pays s’éveille à la littérature.  Jusque là, en effet, les histoires littéraires ne mentionnent  que quelques littérateurs isolés comme André Van Hasselt, poète romantique et nationaliste, le châtelettain Octave Pirmez ou Charles De Coster, resté le plus illustre grâce à son œuvre majeure, La Légende d’Ulenspiegel, publiée en 1867.

La Jeune Belgique, d’obédience parnassienne, va ouvrir la voie à de nombreux mouvements artistiques et littéraires qui trouveront souvent leur mode d’expression privilégié dans de petites revues plus ou moins éphémères. Dès l’abord, arts et littérature seront unis dans ces publications et mouvements.

Le mouvement le plus marquant chez nous, à cette époque est le symbolisme qu’illustrent des revues comme La Wallonie, Le Coq rouge mais aussi Durendal, catholique certes, mais symboliste avant tout, qui accueillera les tenants de ce mouvements jusqu’en 1914, quand la Grande Guerre arrêtera définitivement sa parution.

De nombreux symbolistes se consacrent à la fois à la littérature et à la critique d’art, c’est le cas d’E.Verhaeren ou de Jules Destrée qui publie, par exemple, dans Durendal précisément, « Sur quelques peintres de Sienne », une étude illustrée par sa femme et qui aborde l’œuvre des peintres antérieurs à Raphaël. Ceux-ci ont, en effet, influencé le mouvement préraphaélite, contemporain et proche du symbolisme et auquel appartient, par exemple, Burnes-Jones. Les relations entre littérateurs et artistes plasticiens, une toile comme La lecture du pointilliste Van Rysselberghe nous la montre particulièrement bien. On y voit Verhaeren lisant ses œuvres devant Maeterlinck, Gide,… dans son cabinet de travail de Saint-Cloud décoré d’œuvres de Whistler et de Minne. On notera également que de nombreux peintres symbolistes illustrent des œuvres littéraires ou s’en inspirent, c’est le cas de Gustave Khnopff qui traite à plusieurs reprises le thème du roman de Georges Rodenbach, Bruges-la-morte dont il dessine également la couverture.

De la même façon, on verra, dans le domaine de l’art social, Constantin Meunier illustrant l’œuvre de Lemonnier ou ce même Lemonnier écrivant sur le peintre réaliste français Courbet. L’Art social est, en effet, une autre tendance très représentée en Belgique, dès les années 1880, par des écrivains comme Lemonnier ou Eeckhoud mais aussi par  les peintres et sculpteurs Constantin Meunier,  Léon Frédéric, Eugène Laermans, Charles De Groux ou par le photographe Gustave Marissiaux. C’est la revue, L’Art moderne, fondée par Edmond Picard et Octave Maus, qui diffusa largement cette tendance. Maus fut également à l’origine d’organisations artistiques d’avant-garde : le Cercle des XX (dont Rops sera membre) et la Libre esthétique.

On l’a déjà vu, cette époque est marquée non seulement par des échanges fréquents entre arts plastiques et littérature mais elle tisse également des réseaux artistiques entre différents pays. La France et la Belgique sont proches, ainsi le théâtre symboliste de Maeterlinck est découvert à Paris par Octave Mirbeau et inspire à Debussy son célèbre opéra Pelléas et Mélisande. Rodin travaille en Belgique, les pointillistes Seurat et Van Rysselberghe se fréquentent, Gauguin exposera aux XX, Destrée contribuera à la découverte d’Odilon Redon, Signac sera membre des XX. L’Allemagne est aussi, du moins pendant un certain temps, en relations culturelles avec notre pays : les opéras de Wagner – dans la mouvance symboliste – sont souvent joués en Belgique. Après avoir contribué à la création de l’Art nouveau chez nous, Van de Velde connaîtra le succès en Allemagne.

Le Futurisme

La Belgique du début du XXe siècle connaît un bouillonnement artistique important :  c’est le  Futurisme qui marquera d’abord le siècle nouveau : Marinetti lui-même considérait le Verhaeren des Villes tentaculaires comme un précurseur de son mouvement. Dès la parution, dans le Figaro du 20 février 1909, du Manifeste du Futurisme, un jeune belge Henry Maassen, alors âgé de dix-huit ans et qui mourra deux ans plus tard, rédige un appel aux futuristes belges : « A tous les lettrés sans exception ». Mais c’est surtout l’exposition futuriste de mai 1912 qui doit retenir l’attention. Après d’autres capitales européennes – notamment Paris et la galerie Bernheim et Berlin, où elle fut présentée à la galerie Sturm, dirigée par Walden - les œuvres futuristes, notamment de Russolo, Carrà et Bocioni, sont exposées à la galerie Giroux, place Royale à Bruxelles à l’initiative du « Cercle des Indépendants » de William Jelley. Cette manifestation connaîtra un succès de scandale, surtout par la conférence que Valentine de Saint-Point (petite-nièce d’Alphonse de Lamartine) consacra à « La femme dans le futurisme ».

Les Futuristes revendiquent l’expression de la modernité grâce à un art qui représente le dynamisme et le machinisme du siècle, et développe certains thèmes , par ailleurs dans l’air du temps, comme la voiture, la boxe ou même la violence de la guerre ou de toute forme de manifestation. Ils s’intéressent à l’analogie, ainsi Marinetti dit en 1912 : « Il faut supprimer les comme, tel que, ainsi que, semblable à, etc. Mieux encore, il faut fondre directement l’objet avec l’image qu’il évoque » . Leur technique picturale est, le plus souvent, cubiste, parfois pointilliste.

Quoi qu’en pensent certains, le Futurisme va influencer durablement l’art du XXe siècle, même, si chez nous, on ne puisse guère citer que quelques noms comme celui du romancier liégeois Georges Linze comme représentatifs du mouvement. Il ne faut pas non plus négliger  le poème futuriste de Marcel Lecomte, auteur de Carnaval en 1921. De nombreux artistes belges, comme Magritte, diront avoir subi cette influence.

Dada

Dada, précurseur du Surréalisme semble très directement influencé par les principes futuristes. Ce mouvement naît à Zurich en 1916 au Cabaret Voltaire, sous l’impulsion du jeune Roumain, Tristan Tzara, il compte également, parmi ses membres, Hans Arp. Dans l’éditorial écrit le 15 mai 1916, par Hugo Ball, et qui peut être considéré comme l’acte de naissance du mouvement, apparaît le nom d’un poète belge, Fernand Divoire, dont les poèmes simultanés seront lus au cours d’une représentation Dada. En Belgique, Clément Pansaers publiera pendant la guerre une revue dada : Résurrection, à laquelle participeront Michel de Ghelderode, Charles Vildrac ou Frank Wedekind.  En novembre 1921, Paul Neuhuys  consacre un numéro de sa revue Ça ira à Dada. En mars 1925, René Magritte et E.L.T.Mesens qui se côtoient dans la mouvance Dada depuis 1919 à Bruxelles, publieront un numéro d’une revue Dada : Œsophage, qui proposera des interventions de Max Ernst et Hans Arp. Mesens avait fait venir, en Belgique, Satie, le compositeur le plus proche du mouvement, en 1921.

Dada publie son premier Manifeste, La Première Aventure céleste de Monsieur Antipyrine, en 1916, puis revendique, en 1918, la subversion absolue. Ensuite, en 1919, Tzara part pour Paris où il rencontre André Breton. Ce sera une succession de provocations et de scandales qui finiront par attirer l’attention de la presse. En 1922, c’est la rupture de Tzara avec Breton qui lui reproche son nihilisme. Breton fonde alors le mouvement surréaliste.

Dada a apporté à la poésie de nombreuses innovations : ce qui importe, c’est moins le poème, le produit fini, que l’acte de création. Dada reprend au futurisme cette idée de l’analogie dont il a été déjà question. En 1917 déjà, Tzara écrit : « La comparaison est un moyen littéraire qui ne nous contente plus. Il y a des moyens de formuler une image ou de l’intégrer, mais les éléments seront pris dans des sphères différentes et éloignées ».

Les débuts du Surréalisme

Les Surréalistes eux aussi retiendront ce goût de l’analogie. Dans le Manifeste du Surréalisme de 1924, Breton définit le mouvement à la création duquel il vient de participer :

« Surréalisme : n .m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. »

En 1928, Breton publie Le Surréalisme et la peinture, dans lequel il proclame l’importance « d’exprimer visuellement la perception interne » .

Chez nous, à côté du constructivisme défendu par 7 Arts des frères Bourgeois et L.Flouquet, le surréalisme va se développer autour de deux pôles géographiques : Bruxelles et le Hainaut, plus particulièrement la région du Centre. En octobre 1924, René Magritte, E.L.T.Mesens, Camille Goemans et Marcel Lecomte projettent de lancer un prospectus,  Période mais Nougé provoque l’éclatement du groupe et c’est finalement le numéro d’Œsophage dont il a été question plus haut qui paraîtra en 1925, tandis que Nougé, Goemans et Lecomte publient la revue Correspondance de novembre 1924 à septembre 1926 ; deux musiciens ont rejoint le groupe : Souris, originaire de Mont-sur-Marchienne, et Hooremans. En 1927, les deux groupes se rejoindront,  et ce sera la première exposition surréaliste de René Magritte à la Galerie « Le Centaure » en avril 27.

C’est à La Louvière que se crée, dans les années 30, le groupe Rupture, mené par l’avocat-poète Achille Chavée. Le groupe est né des grèves insurrectionnelles de 1932 et soutient « L’action socialiste » de P.H.Spaak. Ses objectifs :

« 1. Tremper des consciences révolutionnaires.

2. Contribuer à l’élaboration d’une morale prolétarienne »

A côté de Chavée, parmi d’autres, Constant Malva, mineur et écrivain et Fernand Dumont, avocat et poète.

Malgré des divergences profondes - le groupe de Bruxelles croit à l’exploration du langage et du quotidien tandis que Rupture ne jure que par Breton et l’écriture automatique -, des liens vont se nouer entre les deux groupes ; ils signent ensemble Le Couteau dans la plaie, manifeste paru en 1935 et qui prend position contre le pacte franco-soviétique et Staline. Ensemble encore, ils organiseront à La Louvière, dans l’indifférence complète, une Exposition surréaliste ou s’entremêlent les arts : musique de Souris, poèmes de Breton, Chavée, Dumont, Mesens, Char…, et peintures venues de toute l’Europe : Arp , Chirico, Magritte, Ray, Klee…

On le voit, notre pays a connu – et connaîtra encore par la suite – un foisonnement artistique important. Le mouvement surréaliste n’est certes pas le moindre, lui qui, lié à de nombreuses personnalités originaires de notre région, a su prendre ses distances par rapport à l’univers parisien et se développer dans une direction originale

Pour aller plus loin...

Weisgerber, J. (dir.), Les avant-gardes littéraires en Belgique , Bruxelles, Labor, Archives du futur, 1991.

sarlet Cl., Les écrivains d’art en Belgique 1860-1914, Bruxelles, Labor, Un livre, une œuvre, 1992.

Toussaint F., Le surréalisme belge, Bruxelles, Labor, Un livre, une œuvre, 1986.

Pâque J., Le symbolisme en Belgique, Bruxelles, Labor, Un livre, une œuvre, 1989.

Paris-Bruxelles, Bruxelles-Paris, Catalogue de l’exposition, Paris, Réunion des Musées nationaux – Anvers, Fonds Mercator, 1997.